On dirait les sudistes : quand la contre-culture emmêle les symboles
Le débat aux USA pour savoir s’il faut retirer les drapeaux confédérés des bâtiments, ou supprimer des statues, n’a pas débuté l’été 2017. De même, la place du drapeau confédéré dans la culture populaire et été plus d’une fois explorée dans la presse américaine ou anglaise. On se contentera donc ici de deux choses. D’abord élargir le sujet à l’appropriation des symboles politiques. Et profiter de l’occasion pour parler d’un film dont on parle rarement et qui vaut le détour.
Les artistes, au coeur de l’engagement antiraciste
Impossible d’ignorer les violents affrontements provoqués aux États-Unis par les mobilisations de coalitions racistes (sudistes, Ku klux klan, suprémacistes blancs, néonazis, et autres variantes). Les statues de personnalités confédérées sont au cœur du sujet, et c’est lors d’un rassemblement autour d’une statue du général Lee qu’une femme a été tuée par un militant d’extrême-droite à Charlottesville le 12 août 2017. La période précédente, qui signait l’échec de Barack Obama à entraîner son pays dans une ère « post-raciale », fut marquée par la médiatisation de nombreux citoyen.ne.s noir.e.s innocent.e.s tué.e.s par les forces de police. Le mouvement « black lives matter » (les vies noires comptent) a grossi, mort après mort, et de nombreux artistes de toutes couleurs et origines y ont joint leur voix, notamment Beyoncé Knowles et sa sœur Solange avec encore plus de brio, ou encore Cat Power. L’une des performances les plus touchantes de Cat Power, les plus belles jamais entendues, sont 40 petites secondes lors d’une session pour le fameux John Peel. Cette reprise, Free bird, est un des morceaux les plus célèbres de ce qu’on appelle le rock sudiste. Et pour cause, puisque Lynyrd Skynyrd est aussi connu pour son autre tube Sweet home Alabama (chanson qui a régulièrement été lue comme une défense du sud ségrégationniste, même si la polémique entre Neil Young et le groupe a fait long feu).
Autrement dit, même chez une artiste connue pour son engagement dans des causes, antiraciste notamment, la culture sudiste peut avoir droit de cité. Car la signification de ces symboles ne fait aucune unanimité : tandis que les un.e.s y voient d’abord une marque d’attachement à la culture de leur région natale (comme Chan Marshall qui a grandi à Atlanta, Georgia), d’autres mettent en avant ces mêmes symboles au nom de leur racisme et leur nostalgie de la ségrégation. Dans ce pays où les particularismes locaux sont éminemment respectés, le curseur entre le tolérable et l’intolérable reste donc l’objet de débats ininterrompus.
Les drapeaux, entre fierté et querelle
Le drapeau confédéré est en tête de ces symboles. Les américains sont attachés aux drapeaux, et celui-ci, rouge barré de bandes diagonales bleues serties d’étoiles, fut celui des états du sud lors de la guerre de sécession, ces états qui ne voulaient pas abolir l’esclavage. Lorsque Sly and the family Stone sort l’album There’s a riot goin’ on, le groupe (presque le seul à l’époque à être composé de blancs et de noirs) saute de plain pied dans la lute antiraciste. La pochette est simple : le drapeau des USA. C’est bien pour sa symbolique qu’il est convoqué. Opposition d’idées, opposition de deux Amériques, opposition de deux drapeaux, sont imbriquées. Quelques décennies plus tard, Kanye West a arboré le drapeau confédéré sur une veste, expliquant « J’en ai fait mon drapeau, c’est le mien maintenant. Qu’est-ce que vous allez faire ? » S’approprier le stigmate pour le vider de son sens originel est une arme symbolique bien connue des minorités.
Ce drapeau sudiste, on voit mal des artistes se mettre à l’utiliser en août 2017 sans avoir conscience de l’émoi qu’il susciterait. Mais, rappelons-le, ce n’était pas toujours le cas à d’autres périodes. Dans la culture populaire mais aussi dans des sphères plus arty.
Primal Scream, champions des symboles douteux ?
Autant la série télévisée Shériff fais-moi peur (dont la voiture, personnage central, porte le drapeau confédéré sur le toit et s’appelle « Général Lee ») peut facilement être vue comme un monument plouc, autant la culture sudiste se retrouve aussi chez des artistes étiquetés cool et indépendants. C’est le groupe écossais Primal Scream qui en est le meilleur exemple. Le drapeau confédéré est au centre de la pochette de l’album Give Out But Don’t Give Up.
Mais le chef-d’œuvre et plus grand succès de Primal Scream, Loaded, figure sur un autre disque (Screamadelica). Des milliers et des milliers de fêtard.e.s ont crié en soirée ou en concert les paroles par lesquelles débute ce morceau. La phrase “We wanna get loaded and we wanna have a good time” (Nous voulons nous défoncer et prendre du bon temps) a été le slogan des années rave où l’ecstasy circulait à gogo. Mais on prête généralement peu attention au film dont ces paroles sont tirées. L’expression “sortir une phrase de son contexte” a rarement été aussi bien illustrée.
The Wild Angels est un remarquable film de série B, méconnu du grand public. La voix que l’on entend est celle de l’acteur Peter Fonda, samplée d’une scène du film. Dans ce film de Roger Corman, figure contre-culturelle s’il en est, Fonda incarne aux côtés de Nancy Sinatra le chef d’un groupe de Hells Angels. Autrement dit, l’un des groupes blancs racistes et violents les plus importants des États-Unis (et qui ont causé la mort d’un homme au tristement célèbre concert d’Altamont où les Rolling Stones avaient eu la terrible idée de leur confier la sécurité). À l’enterrement d’un de ses hommes, recouvert par un drapeau nazi, le personnage de Fonda s’en prend au prêtre, avec cette diatribe qui innocente les « anges » en en faisant de simples hédonistes amoureux de la liberté. Voilà comment le manifeste fictif d’un gang raciste et néonazi est devenu la bande son d’une jeunesse pacifiste désireuse de s’éclater en musique. L’extrait ci-dessous arrive peu après une heure de film.
Des artistes qui jouent avec la symbolique nazie, sans être pour autant suspectés de nazisme, ce n’est pas nouveau et Primal Scream ne sont pas les seuls dans ce cas. Lorsque le groupe anglais Warsaw s’est rebaptisé Joy Division, avec la charge provocatrice que cela comportait, la majorité y a vu non pas un message d’extrême-droite, mais une manière d’attaquer la bien-pensance bourgeoise. Le débat ne sera probablement jamais clos : où commence la provocation, et où débute la légitimation ?