Tout un monde lointain de Célia Houdart : soleil macabre
Peut-on aimer être agacé ? C’est une question qui traverse la tête du lecteur de nombre de romans, depuis Les Liaisons dangereuses jusqu’à l’auto-mise en scène d’un Emmanuel Carrère, en passant par le personnage de Roquentin dans La Nausée de Sartre.
Dans Tout un monde lointain, le snobisme du personnage de Gréco – elle trouve ses gants d’automobiliste moins beaux que ceux de jadis et a fait construire sa villa de sorte qu’on ne puisse pas voir son linge qui sèche – est comme revendicatif, et on se souvient soudain avec force de l’origine du mot snob : sans noblesse. Certes, il s’agit d’un personnage, mais la façon dont ses influences artistiques — Eileen Gray, Piet Mondrian, Greta Garbo — sont énumérées et celle avec laquelle ses convictions sont assénées laisse peu de place au doute. Ainsi de Le Corbusier, dont on sent bien que Gréco n’est pas seule à le vouer aux gémonies. Au risque de l’à peu près, quand la description d’un buste en bronze de l’architecte fait mention de lunettes “cerclées de fer” (sic), alors que le caractère iconique des montures d’écaille que lui fournissait l’illustre Maison Bonnet est pour le moins connu.
La simplicité de l’intrigue de ce cinquième roman de l’auteur et ses ressorts moraux ne sont pas sans faire penser à J. M. Coetzee, notamment au superbe Age of Iron (1990). Tessa et Louison, un jeune couple en recherche permanente d’ivresse esthétique, vient bousculer le quotidien d’une femme maintenant âgée, ladite Gréco, qui croit avoir fait le tour de la question artistique, mais s’aperçoit bien vite que son approche est percluse de préjugés bourgeois. Cependant, le traitement adopté par Célia Houdart hésite à maintes reprises et les dialogues soulignent beaucoup trop le propos pour qu’on puisse soutenir plus longtemps la comparaison avec la plume âpre et tranchante du maître sud-africain. De l’idée à la réalisation, il semble manquer ce fil tendu qui fait le regard d’un écrivain disant plus sur le monde au détour d’une tournure grammaticale que ses personnages entre eux pendant tout le livre.
Mais voilà : il y a la Côte d’Azur. Venant du début à la fin au secours de la romancière, il y a l’ascendance italienne des paysages, l’évocation d’une moiteur délicate et la transposition d’une harmonie à nulle autre pareille. Cette région, inspiratrice de tant de créateurs, imprègne le livre malgré ses imperfections et lui sauve la mise comme le ferait un croupier monégasque soudain saisi d’une mansuétude inespérée. Depuis le sentier côtier de Roquebrune-Cap-Martin, les vers d’Apollinaire — qui lors de ses années niçoises se faisait appeler Guillaume Macabre, comme sont macabres les farces mises en scènes par Louison — reviennent bientôt en mémoire :
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Dans son premier roman, Les Merveilles du monde, Célia Houdart dévoilait déjà un goût prononcé pour le voyage et pour la plastique des décors naturels. Son approche est désormais moins maniérée, sans doute plus érudite, néanmoins ce qui nous fait garder un œil sur le développement du récit tient plus que jamais à son écrin.
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