Une apparition de Sophie Fontanel : libre et superficielle
Garder ses cheveux blancs, refuser la dictature de la coloration, de la jeunesse éternelle, c’est un geste politique fort. C’est du moins ce que je croyais avant d’ouvrir le livre de Sophie Fontanel. La vérité, c’est que j’ai été déçue. Et que cette déception m’ennuie. D’un côté, il y a une femme qui décida un jour d’être libre et dont le cheminement public, via son compte sur le réseau social Instagram, a fait des émules. De l’autre, il y a cette femme qui ne définit son expérience qu’à travers les atermoiements de son ego, refusant l’étiquette féministe.
Cette apparition qui se veut être une mise en lumière est en réalité un fantôme, fantasme de soi entre Paris et New York, entre la fashion week et les vacances dans une maison classée sur le bord de la mer à Saint Tropez. C’est le fantasme de la séduction parce qu’on s’aime. Et on s’aime, oui. À en dégouliner sur le papier.
Finalement, ce cheminement féministe, puisqu’il l’est même si le mot semble sale à l’auteur (laquelle s’enorgueillit d’être une « mademoiselle »), se noie sous les considérations de journaux féminins, dont est issue Sophie Fontanel. Cette révolution nécessitant un courage sans borne, le processus de blanchiment naturel prenant quasiment une année entière, n’est vue que par le prisme du glamour, de la séduction, de la coquetterie. Il faudra attendre les dernières pages du livre pour que l’auteure confesse que cette expérience, cette renaissance, ne fut pas facile tous les jours : « Certains jours, je me sentais trop bicolore, la délimitation était si nette, cela passait vraiment du blanc au marron foncé ». Mais elle se rengorge : « Je ne sais pas comment j’ai fait, j’ai toujours trouvé le moyen de m’y intéresser au lieu de désespérer ». Enfin, pour faire définitivement passer à la trappe ce sujet qu’elle effleure et dont elle fait dire elle-même à son personnage « C’est passionnant », elle enchaîne sur le roof top new-yorkais de la rédaction de Vogue. Toujours retomber sur ses pattes, cacher les aspérités sous un voile glossy.
La révolution de Sophie Fontanel, celle qui lui a demandé tant de courage, il faut la lire entre les lignes. Loin de la rencontre avec Rihanna chez Colette, loin du personnage gay qui lui demande de coucher avec elle, loin des plages grecques ou de Saint-Tropez. Il faut aller la chercher dans sa salle de bain, le matin. La vérité nue, la liberté acquise par le naturel du cheveu, elle n’existe qu’en filigrane dans Une apparition. Je voulais le récit d’une reconquête personnelle et j’ai tourné les pages d’une histoire bouffie d’orgueil et de paillettes. Ce qui importe à Sophie Fontanel, c’est moins de se retrouver que de trouver l’amour et surtout l’admiration dans le regard des autres. Être un exemple, devenir une icône, et s’en délecter avec légèreté. Cette même légèreté poisseuse qui vient scléroser la presse féminine.
Elle-même consciente de la nouvelle injonction qu’elle pourrait véhiculer, l’auteure botte une nouvelle fois en touche « — Tu vas bientôt nous donner des complexes ! — De quelle sorte ? — Non, ce n’est pas « complexes » que je voulais dire : on va se sentir coupable, c’est plutôt ça. — Coupables de quoi ? — De tricher ». Une tentative d’humour plus tard, la question est balayée du plat de la main. Pas le temps de partager avec son amie ou ses lecteurs une juste réflexion sur l’influence dont elle bénéficie.
On pourrait parler de pudeur. On pourrait dire que ces 250 pages extrêmement bien calibrées cachent sous un voile d’humour les doutes probables de l’auteur, les moments de fragilité ou d’épreuve qu’on peut imaginer toutefois avoir existé. Mais il semble plutôt que ce geste, aussi beau et fort soit-il, ait été forgé sur du vide, pour du vide. Pas de politique, mais juste une femme qui voulait apparaître et est apparue. Dans un sens, tant mieux pour elle. Comme tant mieux pour toutes celles que cette histoire aura inspirées. Les cheveux blancs de Sophie Fontanel ont la force, la beauté et l’audace que n’a pas son récit.
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