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Mother! : faire feu de nulle part

Par Sarah Arnaud, le 20-09-2017
Cinéma et Séries

Il est impossible de parler de Mother! sans spoiler le film, pour la très simple raison que Darren Aronofsky le fait lui-même. L’ensemble de son film est contenu dans ses cinq premières minutes. Il est même possible que ce ne soit que trois minutes. Ce n’est pas qu’une question de contenu : ces premiers instants sont parfaitement représentatifs de la façon dont Aronofsky s’adressera à son public pendant tout le film.

Ainsi, si vous ne voulez rien en savoir, arrêtez vous ici.

Premier plan : une jeune femme, visage tuméfié, nous offre un regard caméra. Derrière elle, l’enfer : des flammes, des explosions. Quasiment la même structure que l’un des derniers plans sur Emmanuelle Seigner dans La Neuvième porte. Soudain, une pierre transparente, une sorte de cristal, dans lequel grésillent quelques filaments d’un brasier passé (a priori, les restes du feu derrière la jeune femme). Lui (Javier Bardem) tient la pierre et la pose délicatement sur un petit présentoir. La pierre, aux vertus encore mystérieuses (pas vraiment) permet alors de découvrir une maison. À son contact, nous voyons les murs, les sous-pentes, les cadres de portes, se couvrir d’une peinture blanche : la maison renaît de ses cendres. Mieux : Mère (Jennifer Lawrence) elle-même renaît des cendres de son lit, la couette détruite se gonflant soudainement pour définir la forme d’un corps humain. C’est beau. Et complètement explicite : en plaçant un mouvement de reconstruction à l’inverse de la temporalité, Aronofsky affirme d’emblée son désir de jouer avec le temps. On peut alors se demander où nous sommes placés dans la structure linéaire ou dans le récit. On peut se questionner quand à la vraie place de ce flashback. Mais le mal est fait : si nous revenons en arrière, que l’incident (incendie) se soit déroulé avant ou après le film, il est clairement dit que nous sommes dans une temporalité déroutée, voire bouclée.

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Le vrai sujet du film est là : le writer’s block, l’être qui n’arrive plus à créer

De là commence l’espoir. Il reste tout le film à regarder et apparemment, on peut être sûr d’une chose : quelqu’un, quelque chose, va faire cramer la baraque ! Le récit débute. Mère a retapé la maison d’enfance de Lui, de vingt ans son ainé. Un inconnu (Ed Harris) s’invite chez eux. Puis la femme de celui-ci (Michelle Pfeiffer). Puis leurs fils. L’un d’eux attaque l’autre. Sang. Décès. Lui accueille plein de gens qu’on ne connaît pas pour une veillée funèbre dans la maison. Escalade de gens qui s’incrustent, qui cassent des meubles, se servent dans le frigo, s’immiscent dans la vie privée de Mère et de Lui. Mère est scandalisée, mais pas au moins d’aller dormir à l’hôtel le temps que ça se décante : faut bien que le film dure plus de quarante minutes, tout de même. Mère fait part de son mécontentement, de toute l’aide qu’elle a apporté à Lui, de son soutien. Elle est triste, elle se sent abandonnée (uniquement par le prisme de « Je ne te sers à rien »).  Lui souffre du syndrome de la page blanche. Il n’écrit plus, malgré les efforts de Mère pour qu’il se sente à l’aise, heureux, inspiré, dans ce cocon apaisant. Le sujet du film aurait pu être là : le writer’s block, l’être qui n’arrive plus à créer. Pendant quelques instants, on entrevoit Aronofosky développer un vrai propos. Il met en abîme ses peurs quant à la créativité, la rapidité d’écriture, l’exécution artistique. Il montre un Lui assez stupide, avec des phrases toutes faites. Le réalisateur se pose la question de l’état de création, des conditions, de la volonté d’accompagnement. Est-ce que la maison parfaite est le bon endroit pour écrire ? Est-ce que Mère devrait arrêter de faire des efforts pour être une épouse douce, parfaite ? Est-ce que cette abondance de calme n’est pas contre-productive ? Aronofsky touche juste. Il parle de lui-même, avec une certaine agressivité dans sa manière d’envisager sa compagne, la famille, l’entourage. Il plonge dans des tréfonds propres à son âme : ne plus supporter les autres est potentiellement une marque d’avancement créatif, ne pas réussir à créer lorsqu’on est trop entouré, trop aimé. On le découvre perdu, en proie à ses doutes.

Mais soudain Aronofsky se rappelle qu’il a choisi de parler d’accouchement, de filer la métaphore entre le processus créatif et le mettre-au-monde. Et, du même coup, laisse tomber ses propres peurs et revient à la panique de Mère. Dépit amoureux, tristesse, solitude, un peu d’énervement. Lui, peureux, se calme. Il comprend que sa femme aimerait bien qu’il lui fasse l’amour au lieu de regarder sa feuille blanche (oui, parce qu’elle est insupportable et le surveille dès qu’il a un crayon à la main ! Dans ces conditions, forcément, il se sent castré). Le miracle arrive. Elle est enceinte. Il a l’idée. C’est elle l’inspiration. Il file écrire. À priori, pour écrire le scénario de ce que l’on est en train de regarder. Boucle temporelle, au cas où on n’aurait pas bien compris.

Vu l’heure, le film n’est pas fini. Il écrit. Elle lit. C’est sublime. À ce moment, la structure bascule dans le genre fantasmé : plus aucun repère, plans serrés et rapides, dans le même lieu mais déconstruit, espace rêvé où tout se confond et va très vite. Le bouquin est publié. Les journalistes sont là. Puis les fans. Puis l’attachée de presse. Encore une fois, la maison est pleine à craquer. Mère retombe dans la panique, réaction normale. Petit festival d’images variées sur différents thèmes, avec la même hiérarchie de traitement et de discours : les fans, la célébrité, l’intrusion du public dans leur vie privée, l’engouement du public à outrance, l’adoration quasi religieuse, l’adoration religieuse tout court, la guerre, la violence d’une masse, la violence des autorités face à la violence de la masse, encore la guerre, la prison, les innocents en prison, la folie humaine, etc. Mère accouche. Elle refuse que Lui prenne l’enfant dans ses bras. Elle s’assoupit. Lui présente l’enfant à la plèbe. Forcément, comme la plèbe est dangereuse, le bébé finit déchiqueté et mangé (méchants fans, méchants !) Mère envisage franchement (enfin) de partir. Elle se fait tabasser par la plèbe et dans un état second, décide de descendre à la cave où une bonbonne de gaz trône : le cœur de la maison, le ventre de la maison, qui elle aussi, a priori est enceinte.

Parce que nous n’avons bien évidemment pas oublié la notion de feu : la maison respire, bouge. Aronofsky nous montre des briquets, des allumettes, des petites flammes tout le long du film. Il nous montre également que dans la maison, un cœur entre bois brûlé et cendre, bat ! Alors qu’il s’essouffle, qu’il s’éteint, tel l’amour donné par Mère à Lui, c’est le moment de rallumer la flamme. Enfin, Mère balance un briquet dans la cave. Enfin, l’incendie tant attendu. Mère, moitié chair, moitié cendre. Petite conversation entre Mère et Lui pour expliquer vite fait qu’il est obligé de faire ça, qu’il « est ce qu’il est » et qu’il lui faut recommencer au début (boucle, encore). Twist ? Ou montage de la séquence de fin au début ? Les deux ! Lui récupère le cœur de Mère, qui, oh ! surprise, devient une pierre transparente, une sorte de cristal dans lequel quelques filaments brûlent encore. On reprend : il pose la pierre, la maison renaît de ses cendres, une jeune femme apparaît dans le lit (une autre actrice). Nous étions donc bel et bien dans un espace imaginé, en boucle temporelle, monde rêvé par l’artiste qui a besoin de répéter son processus créatif.

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Explications partout, surprises nulle part

Explications partout, surprises nulle part. Aronofsky fait le choix quasi indéfendable de jouer la carte du revirement de situation : l’incendie va arriver ET l’incendie est arrivé (il est fait mention d’un incendie dans la jeunesse de Lui, comme pour brouiller rapidement les pistes). Ce revirement obligé annule de par lui même son propos. Le film sonne creux. Nous revenons au début, sans indications des éléments qui seront semblables au récit précédent ou différeront. La volonté même de répéter la souffrance de l’artiste, de montrer les questionnements en boucle se doit obligatoirement de subir une contrepartie. Un monde imaginé, d’autant plus quand il dessine l’état psychologique de l’âme humaine en création, ne peut être envisagé que par sa comparaison avec un autre. Seulement, en entrant dans la salle, nous n’avons pas vu Mother! 1 et il n’y aura pas de Mother! 3.

En ne nous autorisant pas la possibilité de comparer, Aronofosky reste avec lui-même, avec son propre discours, avec ses propres échecs. Pourtant, Bardem tient la pierre dès le début, on le voit être seul maître de ce qui se déroule. Mais on s’efforce de nous faire croire l’inverse. Nous aimerions être dans sa tête, comprendre ce qui le pousse à tuer la mère pour écrire à nouveau, écrire encore, écrire mieux. À force de mettre en parallèle ses troubles avec la Maternité, de refuser de nous en parler, il ferme son film, l’encercle dans cette boucle qui n’a, pour l’œil extérieur, aucun sens. Il est le seul à voir cette roue tourner, cette journée sans fin. Tout s’efface, à l’image rétro-active de la maison : le discours sur le fait d’être mère, sur le couple, sur la sexualité dans le couple, sur l’intrusion.

Le sujet de l’accouchement est un faux-semblant pour le réalisateur. Il en rajoute des couches alors qu’il ne maîtrise peu (voire pas) cette thématique pour laquelle on soupçonne un profond désintérêt de sa part. Aronofsky se dédouane de tout : il ne parlera pas de lui. Il parlera de la femme, de la célébrité, des paparazzis, d’internet possiblement. Le résultat en fait un film presque misogyne. On le voit, à chaque plan, à chaque réplique, s’efforcer de revenir à ce qu’il a décidé être son sujet : enfanter. On regrette qu’il creuse de manière littérale, littéraire, spéculative ce sujet qu’il s’est imposé à lui même. On voudrait qu’il s’accroche à ce discours de Bardem, totalement creux lors de la veillée funèbre, au faux regain de créativité, à cette envie d’avoir des admirateurs, à cette vraie question de ne plus savoir si la reconnaissance est plus importante que l’affection des proches.

Le résultat est un « à-côté ». Aronofsky se fraye un chemin vers une thématique personnelle, comprise, empirique, mais ne déroute jamais du programme imposé par le titre Mother! Il reste à l’écart des thèmes qui le tourmentent réellement, se contentant de faire comprendre, expliquer, re-expliquer, sur-expliquer le canevas du film. Tel un enfant qui fait un coloriage : il faut absolument dessiner dans les traits, absolument rentrer dans les clous. Surtout ne pas dévier. Surtout ne pas colorier à côté.