Dans “Chapeau melon et bottes de cuir”, Emma Peel masquait sous ses charmes un redoutable savoir-faire en matière de coups et blessures. Sans botter le cuir de qui que ce soit – et encore moins leur prendre le melon – la Londonienne Hannah Peel fait preuve du même tempérament fallacieux. Derrière ses chansons, si coquettes en apparence, se cache en effet une belle machine à faire tourner les têtes et, à l’occasion, y inséminer quelques bribes de mélodies indélébiles.
Cela dit, outre ses qualités d’enquêteuse de choc, Emma Peel pouvait s’appuyer sur un atout non négligeable : à une époque où la descendance des suffragettes luttait pour le libre accès à la pilule contraceptive, ce parangon de femme libérée était, peu ou prou, unique en son genre. Et son expertise en tabassage viril représentait l’émancipation sexuelle dans toute sa primeur, son fantasme même. Or, lorsqu’on s’appelle Hannah Peel et qu’on officie dans le registre de la chanson aérienne acidulée, on doit pouvoir faire face à une tout autre menace : la saturation du marché.
C’est qu’elles se bousculent au portillon, les mignonnettes capables d’écrire du tube sucré à la chaîne – haute-fidélité, la chaîne. Honnêtement, laquelle des 52 semaines que compte une année ne nous aura pas présenté une nouvelle auteure-compositrice-interprète au répertoire aussi ravissant que le minois ? Les moins ouvertement candides s’en sortent généralement à coups de production ingénieuse ou d’attitude intransigeante, mais la plupart travaillent au charme et, parce qu’on n’y est jamais insensible, on succombe bien souvent.
Qu’est-ce qu’Hannah Peel, dans le grand couvent de la pop futée où ses sœurs conversent, a à proposer de plus que ses coreligionnaires ? Pourquoi elle, et pas Sarah Blasko ? Alice Lewis ? Nina Kinert ? Ou encore, pour ceux qui ne souffrent d’aucun trouble de la mémoire immédiate, Lia Ices ? Eh bien, à dire vrai… il n’y a aucune raison particulière de faire pencher la balance au bénéfice de la belle Anglaise, ni ses gracieuses reprises new wave à la boîte à musique (l’EP “Rebox”), ni son écriture de qualité supérieure.
À jouer à Peel ou face, on se retrouve entre chou vert et vert chou, mais Hannah n’est pas moins chou qu’une autre et si les noms précités vous ont quelque peu titillé(e), sachez en tout cas que vous retirerez autant de plaisir à l’écoute de ce premier album que vous n’avez pu en éprouver par le passé dans les cloîtres voisins. Après la nouvelle vague, donc, cette “vague brisée” contient son lot de ballades joliment ourlées, régulièrement guidées par le piano mais toujours agrémentées de fines touches ornementales qui les rendent longues en bouche.
Il faut surtout souligner la maturité peu commune de ce premier essai, dont aucun morceau n’outrepasse réellement le lot mais où chacun sait se faire mémorable au terme d’une poignée d’écoutes attentives. À défaut donc de pointer là un disque singulier, on saluera une fois de plus l’émergence d’un nouveau talent méritoire, en espérant avoir intercepté au passage quelques-uns de ses futurs laudateurs. Pendant ce temps, au volant de sa Lotus, Emma Peel roule en direction d’aventures plus excitantes ; mais à sa sensualité maroquine on préférera, aujourd’hui au moins, le soyeux des ballerines.
Note : 6,5/10
>> On est encore plus emballé dans la jungle palombienne…