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2017 au cinéma : la fin de l’ancien monde

Par Alexandre Mathis, le 03-01-2018
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Bilans cinéma' composée de 7 articles. Chaque fin d'année, Alexandre Mathis se livre à une radiographie personnelle des douze mois cinéma écoulés. Voir le sommaire de la série.

Phénomène purement français, la fin de l’année 2017 aura été marquée par les funérailles nationales de Johnny Hallyday, star la plus populaire dans l’hexagone depuis Coluche. Son cortège funèbre rappelle un des moments les plus marquants vu en salle cette année : Jackie Kennedy, en deuil dans le Jackie de Pablo Larrain, défile derrière le cercueil de son mari John Fitzgerald. Un deuil marqué par le besoin pour cette femme de paraître forte, sure de sa façon de faire, mais surtout d’écrire la légende de son couple, fauché en plein élan.

C’est tout un ancien monde qui disparaît en 2017. La chute des harceleurs et violeurs (Weinstein, Spacey), la fin des idoles des baby-boomers et dans le même temps l’éclosion plus brillante que jamais d’un féminisme puissant et d’un mouvement de défense animale (le véganisme en tête) ayant le vent en poupe. La révolution à l’intérieur du système que suggéraient les Washowski, bien avant Sense8, est peut-être en cours. Pour autant, impossible de savoir ce qui sortira de ce nouvel âge : le cinéma s’en fait écho et remet au centre du jeu des positions politiques et éthiques par moments oubliées. Par ailleurs, des dieux vivants sont de retour : Lynch a repris du service avec la saison 3 de Twin Peaks et Superman est revenu d’entre les morts dans Justice League. Serions-nous sauvés ?

La renaissance de James Baldwin dans I Am Not Your Negro tend à prouver le contraire. Le romancier américain, disparu en 1987, est la figure de proue du documentaire de Raoul Peck. Ce dernier retrace le parcours militant de Baldwin, à travers archives audios et vidéos d’une force monumentale. Le constat est accablant : les questions et les constats que dressait le romancier il y a trente ans sur les noirs américains sont encore tous d’actualité. Au fond, les choses n’ont pas évolué, malgré les années Obama. Le vieux monde est encore là, plus que jamais. Jamais le cinéma n’avait traité à ce point la question noire, chose étonnante. Car en plus de I Am not your Negro, c’est le triomphe de Moonlight jusqu’aux Oscar qui fascine. Le film est plus qu’une chronique qui suit un jeune garçon pendant plus de vingt ans dans des quartiers gangrénés par la violence et la drogue. Se greffe dessus un amour homosexuel, mais surtout un vent d’humanisme et d’espoir. Moonlight est réellement lumineux ; jusque dans sa façon de filmer les peaux noires. Tous les chefs-opérateurs vous le diront, il est plus difficile de filmer une peau noire qu’une peau blanche, ou du moins, les outils ne sont pas toujours adaptés. Moonlight y parvient, par ses teintes bleutées qui font que toutes les aspérités de la peau ressortent.

Cette question n’est pas secondaire, elle n’est pas un détail. Bien filmer la peau des personnes noires, c’est une vraie revendication, celle d’une visibilité digne de ce nom. C’est ce que nous rappelle James Baldwin dont la voix d’outre-tombe nous met face à des réflexes réactionnaires parfois involontaires. Le militantisme en 2017 affirme qu’il n’y a plus de question sans importance. Alors oui, les visages marquants de l’année seront notamment des visages noirs. Quoi de plus beau et puissant que l’expressivité de Ruth Negga dans Loving, quoi de plus ensorcelant que le charisme de Royalty Hightower, l’héroïne de The Fits ? Si Katryn Bigelow ne réussit pas totalement son film engagé contant les exactions populaires de la police de Détroit à l’égard de la communauté noire, Jeff Nichols, avec Loving, capte magistralement ce qu’est l’Amérique des années 50, ségrégationniste et faussement tolérante. Mais il enrobe tout cela d’une histoire d’amour fulgurante, pudique, bref sublime.

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Le tourbillon de l’abîme

La méthode Nichols consiste à offrir un peu de bonheur et d’espoir à des protagonistes qui pourraient désespérer. Car ce qu’on appelle parfois la société revêt mille capes : l’État (voir le terrible Entre Deux rives de Kim-Ki Duk), la religion, l’école, le milieu professionnel. Il est facile de se laisser happer pour ne jamais en ressortir. C’est ce qu’apprennent à leur dépens les quatre protagonistes de Song to Song. Le monde de la musique les nourrit autant qu’il les détruit. Le poids du succès, les jalousies, les coucheries, les excès : tout est séduisant et destructeur. Comme toujours chez Malick, c’est en donnant un peu de lumière à leur vie, des instants de grâce éphémères, que les êtres s’en tirent parfois. Barbara, dans le vrai-faux biopic éponyme de Mathieu Amalric, se sert de la grâce de la musique pour survivre. Sans savoir si c’est Jeanne Balibar qui survit en se prenant pour Barbara ou Barbara elle-même qui renaît sous nos yeux, on se prend à admirer ces instants suspendus, ces volutes de frou-frou et la voix fluette de la grande dame en noir.

Dans un dernier acte mémorable, Mariam fait fi des pressions et s’en va pour que justice soit faite. Son voile est alors porté comme une cape. Mariam, plus incroyable qu’une super-héroïne Marvel.

Hélas pour le soldat Billy Lynn, ce qui se présentait à lui comme l’instant de gloire – à savoir un grand show à la mi-temps d’un match de football américain – se transforme en cauchemar éveillé. Tandis que l’Amérique pense célébrer ses héros, elle ne fait que les broyer en les lâchant à la guerre et en s’en servant comme pantins propagandistes. Il n’y a qu’au sein de la famille (et encore) et dans la fraternité entre soldats qu’une once d’espoir à sa place. Pour le reste, la machine broie, déchiquette, manipule, puis quand les projecteurs seront éteints, oubliera. Des qualificatifs qui pourraient résumer l’état de Mariam, jeune Tunisienne violée par des policiers. Son parcours de combattante dans la Belle et la Meute se révèle un calvaire. Pourquoi ? Parce que les policiers, les hôpitaux, la famille et tout ce qui se révèle plus fort que l’individu, l’empêchent de porter plainte et de se remettre de son agression. Le film est glauque, étouffant, donc puissant. Dans un dernier acte mémorable, Mariam fait fi des pressions et s’en va pour que justice soit faite. Son voile est alors porté comme une cape. Mariam, plus incroyable qu’une super-héroïne Marvel.

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La grâce contre les carcans

Le cas de la religion est beaucoup plus ambivalent. Deux approches s’opposent. Dans Silence, de Martin Scorsese, les tentatives d’évangélisation des chrétiens au Japon tournent au fiasco. Alors que le film menace constamment de sombrer dans le prosélytisme, un revirement scénaristique prend fait et cause pour les peuples locaux et les bouddhistes. Ce revirement se meut aussi en retournement spirituel, puisque c’est un ancien chrétien qui annonce autant qu’il provoque l’échec des adorateurs du Christ. Reste que la violence est innommable. Les massacres de chrétiens rappellent les pires horreurs des guerres de religion. Pour autant, chez Scorsese, c’est dans la foi, ou plutôt dans cette naïveté de penser qu’on peut apporter un message divin, que le Salut se trouve, qu’il s’émancipe des carcans de la société. En opposition, le Vénérable W. de Barbet Schroeder, qui parle des massacres de musulmans Rohingya en Birmanie, fait désespérer de la religion. En se plongeant dans les exactions – voire le génocide ! – en cours de bouddhistes menés par la doctrine belliqueuse d’Ashin Wirathu, Schroeder montre que le Mal se niche même en Birmanie, même dans le Bouddhisme, même quand la communauté internationale lève la voix. Rien de nouveau, le film complète sa « Trilogie du Mal », succédant aux documentaires sur Amin Dada et Jacques Vergès (et aux Khmers rouges). Pas de naïveté donc, le vieux monde oppresseur est toujours destructeur.

Les monstres de la résilience

Trois films auront réarrangé l’image du monstre : Colossal, A Ghost Story et A Monster Calls. La grande nouveauté : non seulement le monstre n’est pas mauvais mais, en plus, il tente de nous aider, parfois en vain. C’est cet échec que raconte Colossal. Gloria (Anne Hattaway) se retrouve étrangement dans le corps d’une créature géante au cœur de la Corée du Sud. Elle détruit la ville par erreur. Mais Colossal, c’est surtout l’histoire d’une tentative vaine de sauver un ami de sa violence narcissique. Même échec pour C en ectoplasme déambulant dans A Ghost Story, incapable de communiquer et de consoler sa petite amie en deuil. Reste que ces deux créatures cherche à faire le bien, qu’elle réparent leur erreurs et ne cherchent surement pas à tourmenter les humains.

Comment dire adieu ? Comment vivre après le décès de la personne qui compte le plus pour soi ? « J’ai peur », sanglote Conor.

Le monstre fait de bois ne sauve pas non plus Lizzie, la mère malade de Conor dans A Monster Calls. Sa mission n’est pas de guérir Lizzie, mais de prendre soin de sa progéniture. Seul face à l’agonie de sa mère, Conor fait face, bien malgré lui. « Et voici la fin du conte », averti le monstre. Comment dire adieu ? Comment vivre après le décès de la personne qui compte le plus pour soi ? « J’ai peur », sanglote Conor. Alors, la voix rauque du géant résonne avec une chaleur aussi triste que réconfortante : « bien sûr que tu as peur. Ça sera difficile mais tu t’en sortiras, Conor O’Maley. […] Ce qu’il te reste à faire maintenant, c’est de dire la plus simple des vérités. »

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Les morts sortent de la pénombre

S’en vont alors des êtres chéris, qu’on pensait invincibles. Lizzie s’éteint entourée d’un torrent d’amour. Il en va de même pour le Wolverine de James Mangold dans Logan, qui lègue à une petite fille autant de puissance destructrice que de tendresse. En transformant un film de super-héros en western crépusculaire ultra-violent pour le Hollywood d’aujourd’hui, Mangold est à la recherche de ce qui peut vivre même à travers la mort. Cela passe bien évidemment par la transmission. Même constant pour la Planète des Singes : Suprématie, lui aussi en partie western crépusculaire, où le leader des singes, César, cherche une nouvelle Terre Promise à ses congénères. Son peuple subit des massacres terribles, peut-être de l’ampleur de ceux des Rohingya de Birmanie. Bien loin d’être un être tout puissant, il s’en faut de peu pour que César, usé par les années de lutte, ne voit son peuple disparaître. Logan et César ne sont plus des monstres depuis longtemps. Reste que leur prodigieux charisme en auront fait des êtres d’exception, à même de sauver la génération future. Le voyage dans le monde des morts a alors lieu. De manière littérale dans Coco ou avec le fantôme de A Ghost Story. Carré 35 l’aborde de manière plus imagée.

Le documentaire d’Eric Caravaca se penche sur un secret de famille bien réel : le décès prématuré de sa petite sœur, avant que lui ne naisse. Personne ne parle d’elle dans sa famille, comme si elle n’avait pas existé. L’exploration intime de Caravaca, telles des poupées gigognes, révèle un secret caché dans un autre. On recherche constamment le fantôme de sa sœur, dans l’espoir de voir une photo d’elle. C’est certainement le film le plus bouleversant de l’année, un contrepoint lumineux à Faute d’amour, qui parle lui aussi de la disparition d’un enfant. Sauf que pour le réalisateur Andreï Zviaguintsev, c’est la médiocrité répétée des adultes qui cause la fugue de l’enfant. Un bambin que nous ne reverrons jamais. La Russie de Zviaguintsev est dépeuplée de cœur, de vie, bref d’humanité. Les adultes font croire qu’ils s’aiment mais vivent chacun dans leur bulle. Aucune chaleur, aucune communication. Seulement du vent et de la neige, des silences rompus par des reproches. Caravaca fait renouer la vie dans Carré 35, Faute d’amour l’anéantit.

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Passage de témoin

Ce dernier fait presque figure d’exception en 2017. Si l’ancien monde se meurt, c’est que de jeunes figures émergent. La relève est assurée. Léa Mysius fait de son film Ava un manifeste amoureux, où l’héroïne a droit à toutes les folies, y compris celle de fuir avec son amant. Jamais le film ne devient moralisateur. Qu’Ava vive, qu’elle échoue ou qu’elle réussisse, mais qu’elle en profite. En emmenant avec lui son fils à l’aventure dans le dernier segment de The Lost City of Z, le colonel Fawcett accepte de partager l’obsession d’une vie : découvrir la cité perdue de Z. Ensemble, père et fils disparaissent dans la jungle. Tous embarquent des jeunes pousses dans leur folie : Flash McQueen dans Cars 3 avec Ramirez, Iron Man avec Spider-man, et même Deckard dans Blade Runner 2049 semble prêt à renouer avec le lien familial. Pour le plupart d’entre eux, l’horizon n’est pas clair, parfois même un destin funeste les attend. Ce qui compte finalement, c’est le panache. Et pour les réalisateurs, c’est la tendresse du regard qu’on porte sur eux. Il n’y a qu’à voir Good Time des frères Safdie pour se souvenir que même des personnages débiles peuvent être attachants. Jamais le duo de réalisateurs ne les condamnent ou ne se moquent d’eux. Le Redoutable joue aussi de cette subtilité. Souvent mal compris, le film sur le Godard de 1968 a parfois été reçu comme une moquerie des soixante-huitards. Or, Hazanavicius ne fait que s’amuser des contradictions d’une époque et d’un discours pour rendre Godard plus humain que les hommes; avec, au passage, l’un des meilleurs portraits de mai 68 vu au cinéma.

En libérant la parole, en réveillant les consciences, les membres d’Act-Up ont profondément changé la société française. Le regard sur le SIDA a changé, et indirectement, le regard sur les homosexuels aussi. 120 Battements par minute rend hommage à cet éveil.

Mais le meilleur lien entre l’ancien et le nouveau monde en 2017, au delà des séries d’anticipations (type The Leftovers ou Handmaid’s Tale), au-delà des promesses politiques, c’est bien avec 120 Battements par minute que nous l’avons eu. Simplement car le film, centré sur les années d’Act-Up dans les années 90, fait le pont entre deux époques. La jeunesse désamorce la mécanique tragique et si la mort a encore son mot à dire, la vie en ressort grandie. En libérant la parole, en réveillant les consciences, les membres d’Act-Up ont profondément changé la société française. Le regard sur le SIDA a changé, et indirectement, le regard sur les homosexuels aussi. 120 Battements par minute rend hommage à cet éveil. A la fois bavard et contemplatif, le film de Robin Campillo offre, à plusieurs reprises, une renaissance. Il n’y a qu’à voir ces centaines de personnes allongées dans la rue finir par se relever pour finalement danser, ou des innombrables débats en amphi, où la parole se libère. L’amour, la passion, le sexe et la justice, autant d’étendards pour la suite : des vœux pieux pour 2018 que Naomi Kawase annonce « vers la Lumière ». On a hâte.