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The Cloverfield paradox : sortie extraordinaire pour film médiocre

Sortie le 5 février 2018 (sur Netflix). Durée : 1h42.

Par Erwan Desbois, le 09-02-2018
Cinéma et Séries

La mi-temps du Super Bowl est traditionnellement un événement d’importance en matière de cinéma, car c’est alors que sont présentées les bandes-annonces des blockbusters les plus attendus de l’année à venir. Lors du 52è Super Bowl qui a eu lieu début février, une bande-annonce imprévue s’est glissée parmi les mastodontes qui marcheront sur les salles cet été (Mission : impossible Fallout, Avengers infinity war, Solo…) : celle, dévoilée par Netflix, de The Cloverfield paradox, réalisé par Julius Onah. Des rumeurs faisaient état du rachat par le service de streaming de ce film, initialement dans le catalogue de Paramount et prévu pour une sortie en salles en avril. Soudain tout s’est donc accéléré dans des proportions vertigineuses, avec la révélation simultanée du nouveau titre du film (auparavant dénommé God particle), de ses premières images… et avec sa diffusion quasi simultanée. Le film a en effet été mis en ligne par Netflix dès la fin du Super Bowl, soit deux heures seulement après que son existence a pris une forme concrète.

Les studios historiques d’Hollywood sont pris en tenaille entre d’une part Disney, qui les rachète tout entiers, et de l’autre Netflix, prêt à mordre dans leurs catalogues de films pour maintenir la croissance exponentielle du sien

En France, le décalage horaire aidant, l’effet était encore plus saisissant. Vous vous couchiez le dimanche soir, le film n’existait pour ainsi dire pas ; vous vous réveilliez le lundi matin, vous pouviez le regarder, dès le petit déjeuner et sans même sortir de chez vous. C’est un moment historique, l’équivalent pour la diffusion d’œuvres cinématographiques des coups de pied dans la fourmilière de l’industrie du disque donnés par Radiohead, lorsqu’ils distribuèrent sans intermédiaire et quasiment sans annonce préalable leurs albums In rainbows (2007) et The king of limbs (2011). Entre les deux expériences, il existe toutefois une différence de taille – l’identité de l’entité qui rompt avec les codes en vigueur. Par son geste, Radiohead affirmait crânement la reprise en main de sa liberté artistique, une fois affranchi de son contrat avec la major musicale EMI. Netflix, pour sa part, fait du business sa priorité par rapport à l’art. Son but avoué est d’être une major, une superpuissance dans le monde des films et séries ; et ce qu’il affirme avec The Cloverfield paradox est qu’il a dans ses manches les atouts et stratégies pour parvenir à ses fins.

C’est un coup de semonce, un tir de démonstration à l’intention de ses concurrents. Les studios historiques d’Hollywood savent maintenant qu’ils sont pris en tenaille entre d’une part Disney, qui les rachète tout entiers (comme la Fox dernièrement) ; et de l’autre Netflix, prêt à mordre dans leurs catalogues de films pour maintenir la croissance exponentielle du sien – en plus de The Cloverfield paradox ils ont également récupéré les droits de diffusion hors des USA d’Annihilation, avec Natalie Portman et Oscar Isaac. Et dans cette nouvelle révolution, les artistes n’ont pour l’instant pas leur mot à dire. Alex Garland, le réalisateur d’Annihilation, tout comme Onah pour The Cloverfield paradox, avaient en vue que leurs films respectifs rencontrent leur public sur le grand écran des salles de cinéma. La décision qu’il en soit autrement a été prise sans eux, et sans que cette éventualité ait été précédemment évoquée comme une issue possible.

Le film est un bout à bout de scènes rafistolé avec pour seule ambition de limiter les dégâts, sans vision d’ensemble, souffle ni même une cohérence

Et le film, dans tout cela ? Que l’on attende le quatrième paragraphe de l’article pour s’y intéresser dit l’essentiel. La qualité de The Cloverfield paradox est inversement proportionnelle au retentissement de sa sortie. Enjeux et personnages sont tellement fantomatiques que la part la moins pire du film est celle qui y a été plaquée artificiellement, et a poussé au changement de titre de God particle à The Cloverfield paradox : le rattachement au chausse-pied de ce récit à l’univers des longs-métrages Cloverfield (2008) et 10 Cloverfield Lane (2016), franchise de Bad Robot, le studio de J. J. Abrams. Une explication ni meilleure ni pire qu’une autre à la survenue des monstres des histoires en question, un dernier plan saisissant – ce n’est presque rien, et pourtant on ne voit pas ce que l’ex-God particle a à proposer de mieux que ces verrues sur son visage.

Souffrant de gros problèmes de structure et de narration, ce film dont on ne saisit jamais où il veut en venir, ce qu’il aspire à nous raconter, a été rafistolé avec pour seule ambition de limiter les dégâts. Le résultat est un bout à bout des scènes qui, une fois montées, fonctionnaient à peu près chacune dans leur coin ; mais sans leur donner une vision d’ensemble, un souffle ou même une cohérence. On reste au niveau zéro de la série B de science-fiction voyageant à travers l’espace-temps, lesté par une singulière persévérance à ignorer les rares bonnes idées (les difformités provoquées par la superposition de deux réalités parallèles) ainsi que des thèmes repris tels quels de la série Fringe mais laissés en plan. Si The Cloverfield paradox est le prototype d’un nouveau monde où le court-circuitage des circuits traditionnels aboutit à tirer vers le bas les films proposés au public, il va rapidement falloir que les artistes réagissent, et en profitent pour tenter de prendre en main la diffusion directe de leurs œuvres.