01. Jack White – « Connected By Love » (Isabelle Chelley)
Extrait de Boarding House Reach – 2018 – rock mélodramatique
Si à ses débuts avec les White Stripes, il avait tendance à aller à l’essentiel et à s’adonner au minimalisme, Jack White a montré dans d’autres groupes qu’il pouvait sombrer dans le too much-mais-juste-ce-qu’il-faut. Et avec le premier extrait de ce nouvel album, il n’hésite pas : voix écorchée, paroles un peu dérangées frôlant la poésie d’ado, chœurs, ambiance pesante et larmoyante ponctuée de bidouillages synthétiques… Oui, Jack White en fait des caisses ici, mais toute personne aimant la pop symphonique y trouvera son compte, au premier ou énième degré.
02. Reverie – « Do no favors » (Thomas Messias)
Extrait de Satori – 2018 – Madame rappe
Mélomane en carton, doté d’une mémoire déplorable en ce qui concerne le secteur musical, j’ai écouté très peu de rap dans ma vie. Le vieux con que j’étais à 15 ans a dû même dire de temps à autres que ça n’était pas de la musique. Pardonnez-le. Aujourd’hui, je fais amende honorable et je rattrape mon retard, notamment grâce à Éloïse Bouton et son site Madame Rap, véritable mine en ce qui concerne le hip hop féminin. Dernier coup de coeur en date : l’album Satori de Reverie, rappeuse de Los Angeles. Le genre de trésor qui vous donne un second souffle quand la journée est trop longue.
03. Kadhja Bonet – « Delphine » (Erwan)
Extrait de Childqueen – 2018 – Monts et merveilles soul
La soul délicate et ravissante de la californienne (tendance baie de San Francisco plutôt que soleil de Los Angeles) Kadhja Bonet était déjà arrivée jusqu’à nos oreilles via un premier album, The visitor, et un premier concert parisien à La Boule Noire l’an passé. Le nouveau disque de l’auteure-compositrice-interprète (intitulé Childqueen) arrivera en juin, et les premiers singles qui en jaillissent ne font qu’accroître l’impatience : Mother maybe est très beau, mais Delphine, plus épuré, est carrément sublime. La voix superbe de Bonet s’y révèle plus cristalline, et plus enchanteresse, que jamais.
04. Tory Lanez – « Shooters » (Guillaume Augias)
Extrait de Memories Don’t Die – 2018 – catchy in the rail
On avait retenu du Canadien Tory Lanez, outre sa participation au funeste feud entre Drake et Meek Mill – d’ailleurs pas du côté de son compatriote –, le single « Say It » il y a deux ans et son illustration parfaite de ce qui se serait passé si George Michael avait bumpé dans Dr Dre en plein Compton. Ici les cuivres dès l’entame évoquent plutôt les trompettes d’un DJ Premier période Gang Starr tardif (« Battle ») et l’ensemble est une ode avinée à un décorum O.G. certes grandiloquent, mais qui a le mérite d’être efficace avec ou sans alcool.
05. Jawhar – « Menich Hzin » (Marc Mineur)
Extrait de Winrah Marah – 2018 – Folk Arabe
Le pitch, l’idée de vente, l’étiquette facile, c’est bien mais ça ne suffit pas pour être marquant. On avait parlé de Nick Drake des sables pour l’album précédent et c’était aussi facile à appréhender que séduisant à l’oreille. Il s’éloigne maintenant sensiblement de cette facile comparaison pour se faire plus intense. Comme il reste des compositions superbes, on ne s’en plaindra évidemment pas. La musicalité de la langue arabe reste l’ingrédient indispensable et original du talentueux Tunisien.
06. Creep Show – « Pink Squirrel » (Thierry Chatain)
Extrait de Mr. Dynamite – 2018 – electro interlope
Qui suit l’évolution de la carrière de John Grant ne peut qu’avoir remarqué que l’ex-leader des Czars entretenait un flirt de plus en plus poussé avec les sons électroniques. Flirt désormais consommé au sein de ce qu’on pourrait appeler un “super groupe” formé avec le trio Wrangler, soit Stephen Mallinder (Cabaret Voltaire), Phillip Winter (Tunng) et, last but not least, Ben “Benge” Edwards, orfèvre es-vieux synthés analogiques. Une fois n’est pas coutume, la montagne n’accouche pas d’une souris, mais d’un régal pour pervers polymorphes revisitant tous les genres de l’électro, du plus chelou au plus lumineux, avec clins d’œil au passage à Kraftwerk ou Yellow Magic Orchestra. J’avoue un faible pour ce “Pink Squirrel” qui tangue du dancefloor au backroom, putassier juste ce qu’il faut, et donne l’occasion à un John Grant volontiers sarcastique de jouer de son falsetto. Vous reprendrez bien du poppers ?
07. Las Robertas – « Not enough » (Arbobo)
Extrait de Waves of the new – 2017 – Garage
On peut voir le côté injuste de la chose: toujours il faut quitter sa province reculée, aller “là où ça se passe”, pour capter ou rester dans la lumière. On peut aussi se réjouir: alors que le Costa-Rica n’est pas célèbre pour sa scène rock-garage, les jeunes femmes de Las Robertas continuent leur bonne-femme de chemin. Toujours avec leur son cradingue, leur chant pas très droit qui flirte parfois avec la sortie de route mais revient illico sur le bitume, et leur rock hyper-inspiré qui n’a pas perdu en qualité avec les années. Les voici en Californie, ce qui leur permet peut-être de croiser plus souvent un public acquis à ce style direct et élégant à sa manière. Las Robertas c’est un vrai cadeau pour les fans de garage, l’opposé complet des Dum-Dum Girls. Là où ces dernières cultivaient le style, les poses léchées, surjouant la recréation d’un glamour 50s qui au final fut un sommet d’objectivation machiste du corps des pin’ups, Las Robertas sont d’abord et avant tout des musiciennes, pas les captives de photographes libidineux. Et elles sont un tout petit peu légèrement… coolissimes.
08. Preoccupations – « Disarray » (Benjamin Fogel)
Extrait de New Material – 2018 – post punk
Le cas de Preoccupations a généré bien des discussions ces dernières années suite à leur changement de nom. Comment un groupe s’appelant Viet Cong et se revendiquant de l’influence de Joy Division avait-il pu changer de patronyme simplement pour ne pas choquer quelques personnes de son auditoire ? Est-ce que Joy Division aurait changé de nom pour se protéger des attaques stériles de ceux qui les pensaient nazis ? En réalité, avec le recul, c’est tout à l’honneur de Preoccupations d’avoir sacrifié un nom sur lequel ils avaient capitalisé pour se focaliser sur sa musique, le tout sans blesser inutilement des gens. New Material, leur nouvel album, rappelle qu’un bon disque vaut mieux que les querelles d’héritage et du jeu du qui portera le meilleur déguisement post punk. Preoccupations grandit, écrit de grandes chansons et se renie bien moins que plein de groupes dits incorruptibles.
09. Caamp – « All the debts I owe » (Esther Buitekant)
Extrait de Caamp – 2016 – Folk
J’écoute beaucoup les mêmes morceaux depuis des années. J’augmente parfois ma playlist d’une chanson ou deux mais la plupart du temps je me sens un peu comme un enfant qui regarde 100 fois le même dessin-animé sans se lasser. J’aime ce que ces chansons me rappellent, ce qu’elles évoquent de mes émotions passés ou de mes voyages. C’est amusant (et un peu effrayant) mais youtube me propose régulièrement de nouvelles chansons qui correspondent à ce que j’écoute habituellement. C’est ainsi que j’ai récemment découvert le groupe Caamp, deux gars de l’Ohio qui chantent en s’accompagnant d’un banjo et d’une guitare. Ils sont la bande son de mes journées de travail depuis quelques semaines et m’emportent loin, très loin, dans les forêts de pins d’Amérique. J’aime la voix singulière de Taylor, sa mélancolie et sa chaleur. J’aime la simplicité des mélodies, le temps que l’on compte en lunes et la vaste nature américaine que je sens dans chacun de ces mots : Keep your lights down, keep your voice down low, Wear your hair down, whichever way you go, And I’ll meet you in Idaho.
10. Philippe Katerine – « Amiami » (Lucile Bellan)
Extrait de Magnum – 2014 – Sensuelo-summer
Je suis passée complètement à côté de l’absurde sensualité funk de l’album Magnum de Philippe Katerine produit par SebastiAn au moment de sa sortie. Écouté une poignée de fois seulement à cause du mélomane, c’est au soleil pendant les vacances que les paroles d’« Amiami » se sont imposées. À défaut d’être vraiment à Miami, le son sensuelo-summer de Katerine a accompagné à merveille le parfum de la crème solaire, de la sieste de l’après-midi, et des crabes dérangés par nos promenades dans l’eau.
11. Miles Davis & John Coltrane – « Walkin’ (Live from Konserthuset, Stockholm) » (Nathan)
Extrait de The Final Tour: The Bootleg Series, Vol. 6 – 2018
Dans un élan de générosité capitaliste, Columbia a sorti du placard les enregistrements de la tournée européenne de 1960 de Miles et son orchestre. Plus qu’une tournée, c’est une moment d’histoire du jazz. Miles doit convaincre son saxophoniste de génie, un certain John Coltrane, de le suivre pour la tournée alors que Trane avait décidé de tailler sa propre route. La tournée entière devient alors plus à propos de Coltrane que de Miles ou des autres. Coltrane y développe sa technique, y essaie son son, et casse ainsi les formats classiques du jazz, solo après solo, au point de se faire huer. Là où la magie opère, et c’est ce qu’on oublie souvent, c’est que Miles est un fantastique leader et laisse ses protégés s’aventurer au bord des falaises de sa musique. Plus encore, il les encourage, comme il le fera plusieurs années plus tard au Plugged Nickel avec Tony Williams et Herbie Hancock dynamitant ses classiques (et c’est un autre enregistrement incontournable). Ce classique “Walkin'” est l’exemple parfait de cette alchimie. Miles ouvre avec un solo phénoménal mais classique. Coltrane commence doucement avant de se perdre dans les méandres des accords, d’en jouer toutes les notes à une vitesse folle. C’est, pour l’époque, de la folie pure, et John Coltrane est né.
12. Prince – « Nothing Compares 2 U » (Christophe Gauthier)
Single – 1984/2018 – Exhumation
Deux ans après la mort de Sa Majesté Pourpre, ses archives commencent à s’ouvrir. L’histoire de Nothing Compares 2 U est bien connue : écrit pour le side-project Family mais planquée au milieu de la face B d’un album qui n’a guère marché, puis repris par Sinéad O’Connor qui en a fait un tube, c’est un morceau dont on ne connaissait, par Prince, que des versions live. Et donc, pour marquer l’anniversaire de sa disparition, sa succession a déniché LA version démo en studio, brute mais aboutie, accompagnée d’une vidéo absolument folle composée d’images de répétitions avec The Revolution durant l’été 84. Cette publication, c’est le prélude à la sortie d’un album d’inédits, dont on ne sait pour l’instant rien sinon qu’il sortira fin septembre. Hashtag bave.