The Good Place, la sitcom qui reboote Lost
Diffusion en France sur Netflix (saisons 1 et 2 disponibles).
La situation présentée au début de la sitcom The Good Place est la suivante : des femmes et des hommes d’origines ethniques diverses, et ne se connaissant pas, se trouvent rassemblé.e.s dans un endroit hors du monde. Ils sont morts et il s’agit d’un quartier du paradis, car ils ont réalisé suffisamment de bonnes actions durant leur vie. Dans la série Lost, c’est sur une île mystérieuse au milieu de l’océan Pacifique que les protagonistes se retrouvaient, suite à un crash d’avion. Cependant d’un récit à l’autre les mécanismes à l’œuvre sont les mêmes, comme on le saisit en découvrant peu à peu en compagnie des héros de The Good Place le fonctionnement de leur nouveau monde – chaque révélation soulignant l’ignorance dans laquelle eux et nous nous trouvions auparavant. Dans leur cas, comme celui des personnages de Lost, le lieu fantastique où ils ont été transférés sans l’avoir voulu est dirigé par un architecte (Michael / Jacob1), et on ne peut y accéder ou le quitter que par une voie et un moyen précis (en train avec une seule voie ferrée / en sous-marin en suivant un cap particulier). De plus, il apparaît assez vite que de graves dangers menacent les personnages – Eleanor, l’héroïne de The Good Place, comprend qu’on l’a confondue avec une autre et qu’elle risque donc d’être expulsée du paradis vers l’enfer.
Plus l’histoire de The Good Place avance, et plus elle calque certains de ses éléments sur des moments-clés de Lost. Janet, l’entité omnisciente et omnipotente qui assiste Michael dans la gestion du quartier, est équipée d’un mécanisme de remise à zéro s’activant au moyen d’un bouton2, à la manière du dispositif présent dans le bunker de la saison 2 de Lost. Vers la fin de la saison 1 de The Good Place, alors qu’elle est parvenue à sortir de leur prison dorée avec ses comparses, Eleanor a la même exclamation inattendue que Jack une fois échappé de l’île : « we have to go back ! », « nous devons y retourner ! ». Lequel retour mènera, comme dans l’épisode de Lost (le dernier de la saison 3) où Jack pousse ce cri, à un spectaculaire renversement de situation entraînant une réinvention profonde de la série. Ce twist s’accompagne d’un message écrit, « find Chidi » (l’un des acolytes d’Eleanor), qui rappelle par son impératif et sa concision le mot « not Penny’s boat » (toujours à la fin de la saison 3 de Lost) ; et il est amené dans l’intrigue par un flashback aussi inattendu que le flashforward consacré à Jack dans Lost.
Les flashbacks intégrés aux épisodes, et les resets d’une saison à l’autre, sont les attaches les plus fortes entre les deux séries. Les premiers nous donnent par bribes des informations sur les personnages, et font exister ceux-ci sur plusieurs plans en parallèle – le passé et le présent, la vie et la mort. Les seconds mettent en place une structure similaire à celle des six années de Lost : chaque nouvelle saison repose sur un contexte et des principes intégralement renouvelés. Toutes les cartes sont rebattues, comme le sont par conséquent les rôles, les alliances et les objectifs3.
The Good Place s’affirme ainsi comme un reboot explicite de Lost, mené sur un ton comique. Avoir intégré le motif du reboot à ses composantes fondamentales, en le pratiquant de manière récurrente sous de multiples formes, fait après tout de Lost un candidat naturel à un reboot, et à une réappropriation par d’autres auteurs. L’hypothèse de départ de The Good Place reprend à son compte la théorie qui a longtemps plané autour de la série de J. J. Abrams, Damon Lindelof et Carlton Cuse (quand bien même ces derniers n’ont eu de cesse de la réfuter) : les héros seraient décédés et l’île serait le purgatoire. Si les protagonistes de The Good Place sont réellement morts, les enjeux et problématiques que la série développe autour d’eux restent du même ordre que ceux de Lost. Il y est tout autant question de philosophie et d’éthique, et ce de manière plus frontale encore. De son vivant le personnage de Chidi enseignait ce vaste sujet à l’université, et après son décès il prend à sa charge d’y initier Eleanor afin qu’elle mérite sa place au paradis.
La plupart des épisodes de The Good Place contiennent des cas d’école vulgarisant et mettant en pratique les réflexions d’illustres philosophes, sur les notions de bien et de mal, et sur les conséquences morales de nos actions et décisions, qu’elles soient critiques ou paraissent bénignes. C’est une version ludique (l’épisode consacré au dilemme du tramway, ou le flashback sur la tentative de Chidi de composer une équipe sans discriminations, provoquent de formidables éclats de rire) et condensée – douze épisodes de vingt minutes par saison – de ce que Lost déployait sur le long terme. Résolument humanistes, elles sont habitées par la conviction que les gens sont plus complexes qu’il n’y paraît, et plus intéressants que les stéréotypes que l’on plaque sur eux au premier regard. The Good Place comme Lost vont plus loin : elles considèrent que par un effet de miroir, si on leur donne un coup de pouce, si on leur fait confiance, les êtres peuvent même révéler leur bon côté, précédemment voilé par un mauvais visage qu’ils exhibaient en réaction à un environnement mauvais. C’était le parcours du passionnant personnage de Ben dans Lost ; c’est le chemin que prennent, à leur échelle respective, plusieurs protagonistes de The Good Place4. Si la progression narrative de la série soulève quelques doutes (la saison 2 patine par moments, quand la saison 1 suivait une ligne claire ; qu’en sera-t-il de la saison 3 ?), son cheminement thématique ne souffre d’aucune incertitude.
1 [spoiler] À l’instar de Jacob dans Lost, le caractère bon ou mauvais des actions de Michael sera plusieurs fois remis en question au cours de la série.
2 Lequel bouton est situé – sans aucune justification scénaristique – sur une plage déserte semblable à celle de Lost, si l’on veut croire aux clins d’œil symboliques. Un autre clin d’œil (sans mauvais jeu de mots) est l’utilisation répétée, dans le dernier épisode de la saison 2 de The Good Place, d’un motif visuel récurrent de Lost : un gros plan sur des yeux qui s’ouvrent.
3 [spoiler] Par exemple, en devenant dans la saison 2 des personnages à part entière, les démons sous les ordres de Michael suivent la même évolution que le groupe des Autres guidé par Ben dans la saison 3 de Lost. Un flashback de l’épisode S02E01 de The Good Place les montre même se préparer à accueillir les héros, en se répartissant les rôles qu’ils vont jouer pour tromper ceux-ci, exactement comme on voit les Autres le faire dans un flashback de l’épisode S03E01 de Lost.
4 [spoiler] Eleanor dès la saison 1, et Michael à partir de la saison 2.