Everybody Knows : vendange tardive
Présenté le mardi 8 mai en sélection officielle (compétition). Sorti en France le même jour. Durée : 2h10.
Le titre du dernier film d’Asghar Farhadi inverse celui du film qui fit connaître Hirokazu Kore-eda lors du festival de Cannes 2004, Nobody Knows. Et le programme est fidèle à ce qu’en annoncent ces titres puisque là où le Japonais figurait dans un appartement tokyoïte épuré un monde d’enfants privé d’adultes, celui de l’Iranien met en scène un village espagnol aux tons baroques où les adultes virevoltent, hagards, sonnés par la disparition d’une adolescente.
Si l’activité du pueblo en question est très liée aux vignes qui l’entourent, Farhadi comme à l’accoutumée aime à filmer les intérieurs, ces décors proches du théâtre offrant un bon écho à ses élans d’écriture – le tribunal d’Une séparation, la pavillon du Passé. Ici réside d’ailleurs un premier cahot sur la piste de poussière que constitue vite le long-métrage, à l’image de celles arpentées par motos et 4×4 au sein du vignoble. En effet l’usage du contre-jour, le maquillage montrant avec emphase la torpeur mêlée de fatigue et même l’accessoire pour personnes âgées installant ni plus ni moins un travelling dans la vieille demeure familiale, rien n’y fait : nombre de dialogues tombent à plat et ne parviennent jamais à élever le propos.
L’apparition d’un drone, utilisé pour filmer la noce, est d’ailleurs symptomatique de cet écueil. N’apportant de matière ni à l’intrigue ni à la réalisation, les images que filment l’engin n’excèdent jamais leur fonction de gadget. Aucun cinéma n’est produit par cette situation d’enlèvement, là où il y a vingt ans le premier film d’Alejandro Amenábar, Tesis, tirait son aura malsaine et obsessionnelle de ce type de polar juxtaposé à l’utilisation de la vidéo. Il est ainsi frappant de se dire qu’à un moment d’Everybody Knows on s’attend à une incartade vers le snuff movie quand survient un détour vers… l’univers scénaristique de Marcel Pagnol – l’absence de spoiler pour règle nous empêchant de détailler plus avant.
Quelque chose d’autre frappe, d’ailleurs, en parlant de spoiler : évoquer dans ces lignes ne serait-ce que le nom des personnages – sans parler de celui des deux acteurs principaux, couple glamourissime – et les liens qui les unissent ne vient pas à l’idée, tant cela est consubstantiel d’une intrigue manquant d’ampleur malgré le sérieux de l’arc narratif et l’intensité de l’interprétation (mention spéciale à Bárbara Lennie). Car le titre du film est prononcé par un des ses protagonistes à mi-parcours : « todos lo saben », « tout le monde le sait » – œillade au twist plus que poussif –, ce qui peut paraître un incroyable aveu quant au ressort dramatique employé par Farhadi ou bien une sorte de bravade à lui-même. Le cinéaste semble se demander « sans mon suspense psychologique, ma marque de fabrique, m’aimera-t-on toujours ? ». Disons que certains paris sont plus risqués que d’autres.
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