Le Grand Bain : comédie synchronisée
Présenté dimanche 13 mai en sélection officielle (hors compétition). Sortie : 24 octobre 2018. Durée : 2h02.
Le festival de Cannes, avec la lourdeur de son protocole, ses films exigeants et ses séances qui s’enchaînent à un rythme soutenu demande au spectateur une attention constante. Pour donner un peu de respiration, la quinzaine est ponctuée de films projetés hors compétition, souvent des blocksbuster américains ou des comédies légères qui promettent une belle montée des marches. Cette année, la surprise et l’oxygène sont venues de Gilles Lellouche qui a présenté Le Grand Bain, son deuxième long-métrage en tant que réalisateur après Narco en 2004. Le pitch, complètement loufoque, ne laissait pourtant pas augurer du meilleur : un groupe de d’hommes passablement désabusés retrouvent foi en l’existence grâce à la natation synchronisée. On a craint un film lourd et convenu. Le Grand Bain est tout l’inverse.
Bertrand (Mathieu Amalric) est au chômage depuis deux ans et soigne sa profonde dépression en mangeant ses céréales du matin arrosées de xanax. Sa femme (excellente Marina Foïs) l’aime et le soutien mais ses enfants le regardent avec le plus grand mépris. Alors qu’il accompagne sa fille à la piscine, il tombe sur une annonce. L’équipe de natation synchronisée masculine de sa petite ville recherche de nouveaux membres. On ne sait pas très bien ce qui lui passe par la tête, et on ne le saura jamais, mais le cinquantenaire plonge dans l’aventure tête baissée. Si le film cherche avant tout à faire rire, il traite pourtant avec beaucoup de délicatesse et de bienveillance le mal être de ses personnages. Sans juger, sans en rajouter, Gilles Lellouche filme le sentiment d’échec qui unit tous les protagonistes du film, la manière dont il imprègne leur quotidien et leur rapport au monde.
Laurent (Guillaume Canet) à qui tout réussit mais qui est incapable d’être un bon père, Marcus (Benoît Poelvoorde) chef d’entreprise surendetté, Delphine (Virginie Efira), ancienne championne de natation devenue alcoolique mais aussi Simon (Jean-Hugues Anglade) musicien raté qui travaille dans la cantine du collège de sa fille avec qui il entretient des rapports difficiles et le gentil Thierry (Philippe Katerine, génial) employé de piscine naïf et fan de Julien Clerc. Leïla Bekhti fait également merveille dans le rôle d’Amanda, coach survolté en fauteuil roulant qui hurle, insulte et martyrise allègrement ses élèves.
L’alchimie fonctionne à merveille entre les comédiens qui ne ménagent pas leurs efforts en slip de bain, bedaine ramollie et pilosité à l’avenant. Très bien écrit, certaines répliques sont vraiment hilarantes, Le Grand Bain est aussi irréprochable sur le plan visuel. La réalisation est classique mais le montage dynamique et la photo impeccable. Au fur et à mesure que le film avance on se prend à l’aimer de plus en plus, à croire à cette histoire improbable et surtout à rire de bon coeur. On s’attache à ces personnages de loosers qui donnent tout, grâce à l’implication totale des comédiens et notamment Philippe Katerine, toujours excellent et servi par des dialogues en or.
Le film n’est pas parfait. On lui reprochera notamment le traitement un peu gênant infligé à Balasingham Thamilchelvan, acteur Sri-Lankais qui interprète Avanish et dont les seules interventions sont faites dans sa langue (que tout le monde comprend). Mais alors qu’on avait en tête plutôt l’image de l’hétéro de base vaguement misogyne, Gilles Lellouche ne justifie et ne moque jamais le choix de ses personnages de faire un sport si féminin. Cela aurait pu être prétexte à quelques blagues grasses, comme on en voit tant dans les comédies françaises depuis quelques années, mais pas du tout. Lors du championnat du monde de natation synchronisée, il filme les corps des nageurs, leurs fesses moulées dans les maillots. L’homme est un objet comme les autres.
Le Grand Bain est un film qui fait du bien. D’une finesse et d’une délicatesse inattendue, Gilles Lellouche réussit son pari et livre une comédie populaire de qualité. Cela fait longtemps que ce n’était pas arrivé en France, réjouissons nous.
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