Chris the Swiss : d’un engagement à l’autre
Présenté le dimanche 13 mai 2018 à la Semaine de la Critique. Sortie : 3 octobre 2018. Durée : 1h30.
Au début des années 90, un journaliste suisse, Christian Würtenberg, part couvrir la guerre en ex Yougoslavie. Il n’en reviendra jamais. C’est son parcours pour le moins atypique que tente de retracer la réalisatrice Anja Kofmel, qui tente de comprendre son parcours ainsi que les circonstances de son décès. Car Chris n’est pas mort par hasard, à cause d’une balle perdue ou d’une explosion aléatoire : il a bel et bien été assassiné. On a retrouvé son cadavre vêtu de l’uniforme d’une milice étrangère. C’est cette transition-là qui donne à Chris the Swiss ses instants les plus forts, lorsque Anja Kofmel essaie d’expliquer (et de s’expliquer à elle-même) comment un journaliste certes engagé peut en venir à enfiler une tenue militaire pour combattre auprès de mercenaires pas franchement fréquentables.
On aurait même voulu que cette question de l’engagement soit au cœur du film et le traverse de part en part. Lorsqu’Anja Kofmel nous apprend que Christian Würtenberg est loin d’être le seul journaliste à avoir fini par prendre les armes après avoir commencé par couvrir un conflit, il n’est pas interdit de tomber de sa chaise. Mais que le film mette aussi longtemps à en arriver là relève réellement du pur gâchis.
Sur la forme comme sur le fond, Chris the Swiss est un film plutôt raté. La construction du documentaire confond simplicité et simplisme, alternant témoignages face caméra de personnes ayant connu Christian Würtenberg avec des séquences de reconstitution de son périple mental et géographique. Celles-ci sont réalisées en animation, dans un style un peu fusain qui, à défaut d’être révolutionnaire, sied assez bien à l’atmosphère cauchemardesque du récit. Il y a ce que Kofmel sait, ce qu’elle imagine ouvertement, et ce qui la réveille la nuit. Il y a les faits avérés et les trous dans le dossier. Le minimalisme noir et blanc sied plutôt bien à cette superposition d’affirmations et de sensations.
Reste que Anja Kofmel n’est pas Ari Folman, souvent cité comme le maître du documentaire animé. Il est vrai que Valse avec Bachir maniait avec brio cette façon d’insérer l’animation dans le réel, de s’en servir pour approfondir la réflexion et amplifier les cauchemars. Hélas, Chris the Swiss ne dépasse quasiment jamais le stade de l’illustration. Et l’alternance entre les séquences animées et les parties documentaires sans aucun style crée une impression d’empilement, là où il aurait été souhaitable que les deux parties s’incorporent l’une à l’autre.
La première partie du film est la moins intéressante. Comme si elle tirait à la ligne, Anja Kofmel prend le temps d’énoncer les faits, de décrire la disparition, de mettre en place chaque élément de façon tout à fait banale. Ce n’est vraiment qu’à partir du moment trop tardif où le journaliste finit par s’engager que Chris the Swiss trouve enfin son rythme de croisière. Mauvaises fréquentations, comportement bizarre, relations compliquées avec le collectif : à mesure qu’il s’approche de sa propre mort, Chris le Suisse navigue dans une atmosphère de plus en plus délétère. Ce que le trait un peu trop doux de l’animation finit par ternir. À la sortie, le goût amer qui nous reste dans la bouche, c’est celui de ce sujet formidable traité de façon trop empesée par une réalisatrice sans grand point de vue. Sujet qu’on espère revoir un jour à travers le prisme de la fiction ou, pourquoi pas, dans un documentaire plus affûté.
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