Semaine de la Critique 2018 : les courts-métrages passés en revue
Films présentés du 9 au 15 mai 2018. Disponibles gratuitement jusqu'au 27 mai 2018 sur festivalscope.com
Ce fut encore une belle année pour la sélection de courts-métrages de la Semaine de la Critique, ce que vous pourrez constater par vous-même en vous rendant avant le 27 mai sur Festivalscope, où une dizaine d’entre eux (soit la quasi totalité) sont disponibles gratuitement. Attention, chaque film n’est visionnable que par 500 personnes. Ensuite, ces courts seront indisponibles et deviendront bien plus difficiles à voir.
Difficile de broder un état des lieux global, cette sélection partant volontairement dans toutes les directions pour proposer un panorama aussi large que possible, du drame au film de genre, du cauchemar animé à la comédie. À ce titre, on peut saluer le bel éclectisme dont a fait preuve le comité de sélection. Vous trouverez ci-dessous un passage en revue de dix des courts-métrages proposés, qu’ils aient été projetés en compétition ou en séance spéciale. Quand c’est possible, un extrait ou un teaser a été ajouté.
- Tiger, de Mykko Myllylahti (Finlande)
Le film le plus court de la sélection (10 minutes à peine) démarre comme un drame pour se muer in extremis en teen movie inquiet. On y assiste à ce qui ressemble aux prémices de ce que certains médias nomment à tort un différend conjugal. En réalité, un homme entre chez lui avec un fusil à la main pour avoir une explication avec sa femme. Finit par débarquer un troisième personnage, leur enfant, un tigre en peluche marchant comme un être humain. Là où ce film finlandais interpelle, c’est qu’il ne se limite pas à une parabole de l’enfance traumatisée par la violence du père. On pourrait croire que la figure du tigre est là pour représenter tous les enfants du monde, indépendamment de leur genre ou de leur origine. La suite des événements indique que ce n’est peut-être pas tout à fait ça. Curieux et prometteur. - Pauline asservie, de Charline Bourgeois-Tacquet (France)
Non seulement la Semaine n’a pas boudé la comédie pour sa sélection de courts, mais elle a fait son choix avec perspicacité. Interprété par Anaïs Demoustier et Sigrid Bouaziz, Pauline asservie est un peu la rencontre entre Arnaud Desplechin et le monde du smartphone. Pauline, jouée avec vigueur par Demoustier, est une jeune femme lettrée qui attend désespérément un SMS de Bruce (à prononcer comme Bruce Willis), un intellectuel de cinquante ans et quelques avec qui elle a vécu une folle histoire d’amour pendant deux mois et demi. C’est en tout cas comme cela qu’elle décrit leur relation à sa copine Violette. Avec Pauline, on ne sait jamais trop : on comprend vite que tout est prétexte à excès, à interprétations vaseuses, à changements intempestifs d’opinion et d’humeur. En retraite à la campagne avec son amie, Pauline attend un message, et les secondes lui paraissent être des journées. La façon dont Charline Bourgeois-Tacquet la fait tourner en rond, toujours prête à exploser, est proprement jubilatoire du début à la fin. - Third Kind, de Yorgos Zois (Grèce)
Projeté en séance spéciale, ce film d’anticipation est tiré à quatre épingles et éminemment politique. Il ne serait pas étonnant que Hollywood cherche à débaucher le réalisateur grec et son équipe technique, la direction artistique de Third Kind étant à coup sûr son atout numéro un. Le film décrit comment, après la désertion de la Terre par l’espèce humaine, un trio d’archéologues va revenir explorer celle-ci afin d’identifier l’origine d’un mystérieux signal musical émis depuis la planète bleue. Par son titre comme par ses cinq notes, le film évoque bien entendu Rencontres du troisième type mais se tient pourtant bien loin des obsessions spielbergiennes. Ce qui intéresse Yorgos Zois, c’est moins le développement d’une atmosphère que son utilisation à des fins politiques, une réflexion sur le statut de réfugié étant amorcée en milieu de film pour prendre ensuite toute la place. Pas complètement convaincant, le film laissera néanmoins des traces dans nos mémoires. - Un jour de mariage, d’Elias Belkeddar (Algérie/France)
Prix Canal+, ce film qui semble un peu trop court dresse le portrait de Karim, voyou français entre deux âges qui vit à Alger parce qu’il ne peut plus mettre les pieds en France. Principalement composé de séquences de dialogues avec quelques camarades, Un jour de mariage fait preuve d’une tendresse mélancolique sur laquelle on n’aurait pas forcément misé. Entre autres belles choses, le film montre comment Karim va se sentir peu à peu dépassé par un monde qui avance sans lui. Le film s’ouvre par une scène de restaurant, dans laquelle ses potes et lui n’arrivent pas à faire taire un groupe de jeunes femmes qui rient bruyamment non loin d’eux. Plus tard, on apprendra que la fille de Karim est en train de réussir ses études de droit, pour ne pas finir du même côté de la barrière que lui. Le petit gangster est dépassé, et c’est assez joli à voir. - Raptor, de Felipe Gálvez (Chili)
Le film étonne d’abord par sa forme : il est présenté au format vertical, très smartphone dans l’âme, sans qu’il soit pourtant question de raconter en vue subjective. Felipe Gálvez trouve là un excellent moyen de nous hameçonner et de nous transformer en public complice de ce qu’il voit. Au départ, une situation simple : un homme soupçonné d’avoir volé le portable d’une adolescente à l’arraché est arrêté en pleine rue par un autre, puis maîtrisé au sol par un troisième. Tandis qu’un attroupement se forme en attendant la police, c’est à une véritable comparution immédiate que va avoir droit le suspect, qui clame son innocence. Tour à tour, des membres de la foule vont tenter de le protéger, de le faire avouer ou de lui faire payer toute la souffrance de la société. Le tribunal à ciel ouvert n’est pas loin de se muer en échafaud. Sans jamais les citer, le film nous met en garde contre le statut permanent de juges, avocats et bourreaux que nous nous auto-attribuons parfois sur les réseaux sociaux. Et dans la vraie vie. - Normal, de Michael Borodin (Russie)
Peut-être la proposition la moins forte de la sélection. À vrai dire, Normal peine à afficher ses intentions, ressemblant moins à un court-métrage qu’au long-métrage tronqué. Son héros, Sacha, est un jeune homme qui aspire à mener mieux qu’une existence lambda, et nourrit des ambitions intellectuelles et professionnelles si hautes qu’il a cessé de fréquenter l’école de sa petite ville. Sacha joue un double jeu, puisqu’à l’extérieur de chez lui, il se fait passer pour le dur qu’il n’est pas afin de s’attirer les faveurs de la si convoitée Lisa. Le réalisateur russe organise le zigzag de son héros entre les deux facettes de sa vie, mais rien ne ressort réellement de ce qui aurait pu être un témoignage convaincant sur la masculinité toxique et le complexe de l’intello. - La Persistente, de Camille Lugan (France)
La Persistente, c’est le nom de cette moto pilotée par Ivan, homme sombre et solitaire qui nourrit une relation viscérale vis-à-vis de sa machine. Celle-ci le lui rend bien, semblant lui rendre cet amour. À sa manière, La Persistente est vivante, comme une cousine à deux roues de la Christine de Stephen King et John Carpenter. Au beau milieu des montagnes pyrénéennes, Ivan va devoir se battre pour récupérer sa belle après que celle-ci a été volée par un sale type. Le duel va prendre une tournure inattendue, entre western et film de genre, dans une ambiance singulière qui impressionne. La réalisatrice Camille Lugan va au bout de ses idées, au bout de son talent : La Persistente finit par créer une véritable impression de sidération. - Hector Malot : the last day of the year, de Jacqueline Lentzou (Grèce)
Lauréat du prix découverte, ce film grec se passe de résumé. Cette chronique dont l’héroïne est une jeune femme est loin d’être une adaptation de Sans famille, dont l’auteur est néanmoins cité dans une conversation en début de film. Le film rappelle notamment le Jeune femme de Léonor Serraille par sa volonté de filmer la désorientation d’une héroïne qui ne sait pas exactement quoi faire de sa vie et a, à tout moment, la possibilité de basculer dans la folie ou la dépression. Procédant par petites touches, Hector Malot brille par sa façon d’aligner les moments en creux pour en faire de petits sommets, à l’image de cette séquence où Sofia, l’héroïne, s’exerce au karaoké seule sur son lit. Que le film ne soit pas le plus impressionnant de la compétition ne l’empêche pas d’être l’un des plus réussis. - La Chute, de Boris Labbé (France)
Sur le site de la Semaine, on parle de Jérôme Bosch, de Bruegel, de Botticelli. Même sans ce bagage-là, on ne peut que succomber à ce ténébreux opéra animé, fait d’encre de Chine et d’aquarelle. Muet mais très musical, le film de Boris Labbé montre des végétaux, des bâtiments, des humains qui mutent, mangent les autres et s’auto-avalent, reproduisant les mêmes motifs par cycles, dans une sorte de cauchemar éveillé qui rappelle aussi l’univers de Dante. La sensation procurée par le rythme frénétique du film (en séance spéciale lui aussi) n’est pas loin de rappeler l’effet que pouvaient faire les stroboscopes de Gaspar Noé quand ils n’étaient pas encore éculés. Et cette façon de rester presque toujours très loin des lieux et des vivants, comme dans un Où est Charlie ? des enfers, ne fait qu’accentuer le malaise et l’admiration. - Exemplary Citizen, de Kim Cheol Hwi (Corée du Sud)
Ce court huis-clos se situant dans les toilettes d’un centre de paris clandestins tourne autour de drôles d’enjeux. Vêtu comme un employé de banque, le héros Ho-jun y passe la quasi intégralité du film à nettoyer les lieux, visiblement obsédé par la crasse et les déjections. Balayer, gratter les stickers, déboucher les cuvettes : cela pourrait sembler trivial ou ordinaire, mais le jeune réalisateur coréen donne du rythme et de l’esprit à cette étrange chasse aux miasmes. Exemplary Citizen finit par créer un suspense qui tient autant à la netteté de ces toilettes insalubres qu’au salut potentiel du personnage principal, dont la mission fondamentale est un appel au happy end.
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