Under The Silver Lake : sous le lac, le vide
Présenté mardi 15 mai 2018 en sélection officielle (compétition). Sortie : 8 août 2018. Durée : 2h19.
Étrange de constater combien la présentation de certains films cannois convoque parfois le souvenir d’illustres prédécesseurs. Troisième film de David Robert Mitchell après The Myth of the American Sleepover et It Follows, Under The Silver Lake était ainsi attendu de pied ferme sur la Croisette, où le prometteur cinéaste américain se trouvait soudain invité dans le grand bain de la compétition. Une situation qui rappelle la présentation en 2006 de Southland Tales, ambitieux thriller SF californien signé Richard Kelly, qui essuya une véritable volée de bois vert et mit un frein à la carrière du réalisateur de Donnie Darko. On souhaite un destin moins cruel à David Robert Mitchell, mais l’apparence quelque peu boursouflée de ce trip filmique de 140 minutes ainsi que l’accueil plutôt froid reçu à Cannes ont pu faire flotter pendant quelques jours le fantôme de Richard Kelly sur la Croisette.
De fantômes, il en est justement question dans Under The Silver Lake, qui suit les déambulations de Sam (Andrew Garfield), un trentenaire sans emploi vivant à Los Angeles et se prenant de fascination pour son avenante voisine avant que celle-ci ne disparaisse. Commence alors une enquête obscure, sur fond de conspirations fatales, d’enlèvements de milliardaires ou de messages cryptés à décoder partout. Se revendiquant d’emblée comme un descendant du cinéma néo-noir californien, le film de David Robert Mitchell fait immédiatement penser par son intrigue policière et son atmosphère nébuleuse au Privé de Robert Altman, à Chinatown de Roman Polanski ou à Inherent Vice de Paul Thomas Anderson. Si cette observation des mystères cryptiques de la ville de Los Angeles provient avant tout de la littérature (Raymond Chandler et son Grand Sommeil constituant un modèle indépassable), Under The Silver Lake tente d’apporter sa propre pierre à l’édifice en faisant progressivement de toutes ces références culturelles la matière même du récit. Cette grande exploration méta de la Cité des anges finit en effet par placer en son centre l’inanité d’un monde devenu entièrement saturé de pop culture.
Optant pour une forme de nihilisme qui vide les icônes passées de toute substance et les réduit à l’état de béance désarticulée, David Robert Mitchell frise en permanence la désinvolture dans le traitement de son intrigue et le parcours de son héros. Une sorte d’humour absurde paraît sporadiquement faire allégeance aux séquences comiques de Mulholland Drive ou Twin Peaks mais les aventures obsessionnelles de Sam sont loin de recréer le romantisme lynchien ou le vertige hitchcockien que son identité de film-labyrinthe semblait annoncer. Bien que hanté par les spectres de James Dean ou Kurt Cobain, Sam ne s’avère en effet jamais être un personnage touchant ni empathique, englué qu’il est dans son égoïsme et son caractère autocentré. Si l’objectif était visiblement de faire de lui une surface lisse rongée par le néant, il est dommage que l’univers imaginaire, fantasmatique ou mental du protagoniste s’avère si restreint et limité. Comme contaminé par la dépression de son héros, Under The Silver Lake finit lui aussi par tourner en rond sans offrir suffisamment d’intensité rythmique.
L’idée selon laquelle les œuvres de la pop culture cacheraient en réalité des messages codés à destination des plus riches ne prend ainsi jamais réellement corps à l’écran, la faute à des fausses pistes et des longueurs qui chloroforment l’attention. Comme piégé par sa propre ambition, le film se déconstruit lui-même plutôt que de déconstruire les fondements de la pop culture et de décoder véritablement l’envers du décor hollywoodien. On quitte alors Under The Silver Lake avec la sensation que ce dédale californien n’apporte finalement rien de très palpitant à ce qu’était déjà la quête d’Elliott Gould en 1973 dans The Long Goodbye (titre original du Privé). David Robert Mitchell parvient certes à nous mettre en garde contre les dangers du divertissement et de la consommation culturelle à outrance, mais sans franchement proposer dans sa mise en scène une modernisation de ces thématiques ni un trouble existentiel digne de ce nom.
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