Mark Dixon, détective (Where The Sidewalk Ends) : autopsie d’une âme
Sortie en France en Blu-Ray et DVD le 4 avril 2018 (édité par Wild Side). Durée : 1h31.
Mark Dixon est un détective aux méthodes de malfrat : pour soutirer des aveux aux suspects, comme pour les pousser à craindre la loi, il ne sait faire autre chose que les cogner. Une nuit, un coup du sort fait dérailler cette manière de procéder. L’enquête de Dixon sur un meurtre le mène à un témoin ivre et récalcitrant, qui s’en prend physiquement à lui ; la riposte de Dixon provoque la mort du témoin. En une seconde, Dixon bascule du mauvais côté de la ligne entre le bien et le mal, avec laquelle il flirtait depuis longtemps – se comportant mal mais détenteur d’un badge du camp du bien, frappant aveuglément mais ne tuant jamais.
À partir de cet accident, le récit de Mark Dixon, détective (adapté d’un roman par Ben Hecht, l’un des plus grands scénaristes de l’histoire d’Hollywood) déploie un suspense brillant, reposant sur des bases exclusivement éthiques : Dixon va-t-il ou non se dénoncer ? La réalisation redoutable d’intelligence et de savoir-faire d’Otto Preminger (qui réunissait pour l’occasion le duo Dana Andrews – Gene Tierney de Laura, son premier grand succès) souligne avec force cette prévalence au sein du film de l’aspect moral sur tous les autres. Restant à dessein très neutre l’essentiel du temps, en recourant à des techniques telles que de longs plans-séquences ou des entrées et sorties de scène semblables à du théâtre et filmées sans effets supplémentaires, la mise en scène (et en musique, avec un air génialement entêtant signé Cyril Mockridge) prend les commandes dès que la morale s’en mêle. C’est particulièrement frappant dans la scène de l’homicide involontaire, formidable moment de cinéma où le cadre et la bande-son sont soudain pris de folie, submergés par la même panique qui envahit Dixon face à la tournure des événements.
[Attention, la suite du texte contient des spoilers]
Le geste de se dénoncer serait aussi aisé et bref dans les faits – une poignée de mots à dire ou à écrire – qu’ardu sur le plan moral, surtout pour quelqu’un tel que Dixon. Il est donc tout à fait logique, bien que fortement tragique, de le voir chercher à s’en sortir par des moyens uniquement et fermement amoraux. Il met en scène une fuite hors de la ville de sa victime et fait disparaître son cadavre ; il paie un avocat hors de prix pour assurer la défense de l’innocent accusé à sa place, et tente de faire accuser de son acte Scalise, le chef de gang coupable du meurtre sur lequel Dixon enquêtait initialement. Et quand cette idée d’un jeu macabre à somme nulle échoue, Dixon en élabore une autre, encore plus tirée par les cheveux car plus désespérée : provoquer Scalise afin qu’il le tue et finisse derrière les barreaux. Pour compenser la vie qu’il a prise, Dixon offrirait la sienne sous la forme de son corps plutôt que de son âme – de même qu’il « discutait » avec ses suspects avec ses poings au lieu de son intellect.
Mais l’univers n’est pas décidé à laisser Dixon s’en tirer de la sorte. Car comme cela est dit dans Lost, « the universe has a way of course-correcting itself » (« l’univers trouve le moyen de corriger son cap »). Au coup du sort de l’homicide involontaire répond ainsi, dans le final du film, un autre coup du sort tout aussi gonflé. Enfermé par la bande de Scalise, Dixon a néanmoins accès au moteur de l’ascenseur par lequel les bandits s’échappent, ce qui lui permet de les arrêter et de les faire accuser des différents meurtres. C’est là un véritable deus ex machina de script hollywoodien, du genre qui permet au héros de triompher sur tous les fronts – mais c’est un renversement trop énorme, trop injustifiable pour que la conscience de Dixon le supporte. Il se confesse, enfin, apportant sa nécessaire contribution à la fable morale narrée par Preminger, qui s’ouvrait sur un crime et se clôt sur le châtiment correspondant.