Steve Monite – « Only You »
Extrait de Only You – 1984 – Afro-boogie
NxWorries – « Droogs »
Extrait de Link Up & Suede – 2015 – Remake perché
Farai – « This is England »
Extrait de Rebirth – 2018 – Colère sourde
La curiosité. En 2018 je me suis passionné pour ce qui venait du Nigeria. Fela un peu, mais surtout le mystérieux William Onyeabor et le boogie irrésistible et futuriste de Steve Monite. Plus de trente ans après sa sortie, son morceau de bravoure « Only You » trouve une notoriété bien au-delà du continent africain : d’abord compilé sur des rétrospectives consacrées aux rare grooves nigérians, il est repris par Frank Ocean, puis tout récemment par le duo Theophilus London / Kevin « Tame Impala » Parker. Le seul intérêt de ces reprises très – trop ? – fidèles, c’est de faire découvrir l’impeccable original au plus grand nombre, avec ses sons de synthé cosmique et sa basse bavarde. Celui-là, il a été en rotation lourde dans mes oreilles durant tout l’automne.
La claque. À la première écoute. En 2018, ça m’est arrivé très exactement deux fois, la première avec le crasseux « American Guilt » d’Unknown Mortal Orchestra, la seconde avec « Droogs » de NxWorries (autrement dit le duo Anderson .Paak / Knxwledge), découvert avec trois ans de retard. Anderson .Paak c’est un peu mon chouchou, avec lui c’est embarquement direct pour L.A., groove de feu, voix de velours et pas de déchet. Droogs, ça pourrait n’être qu’un bête remake de Drugs, titre qui figurait sur le premier LP d’Anderson .Paak ; c’est en fait une tuerie, gros sample de la chanteuse soul Patrice Rushen et voix folle autotunée qui vole très haut.
La rage. En 2018 il est encore possible de faire des protest songs qui ont du style. On avait eu le coup de poing « This is America » de Childish Gambino en mai ; six mois plus tard, la réponse britannique est signée Farai et se nomme, bien entendu, « This is England ». En plein désarroi pré-Brexit, sur fond de beats minimalistes et de bourdonnements de Korg, la chanteuse Farai Bukowski-Bouquet déverse son ressentiment sur la Première ministre britannique. « Theresa May, est-ce que tu sais ce que ça fait de devoir compter les jours et les heures jusqu’à la paie ? » (ça a une autre gueule qu’un détournement du « Chant des partisans » par un ex-humoriste sinistre pour porteurs de chasubles fluo extrémistes). L’album est à l’avenant, tapis sonore électro-punk et déflagrations vocales toujours sur le fil. Un coup de cœur tardif à l’image de cette année : tordu.
Nick Cave & the Bad Seeds – « Distant Sky (live) »
Extrait de Distant Sky: Nick Cave & The Bad Seeds Live in Copenhagen – 2018 – Cadeau du ciel
Alain Bashung – « La mariée des roseaux »
Extrait de En Amont – 2018 – Rappel d’outre-tombe
Mariya Takeuchi – « Plastic Love »
Single – 1985 – Vague dansante
C’est un cadeau du ciel, un cadeau divin, tombé lors d’une pluie de printemps. Le chant de la terre de Nick Cave se mêle à la voix cristalline d’Else Torp, la soprano danoise. Les fermiers bêchent ce qui ressemble dorénavant à de la boue. Rien ni personne ne les empêchera de faire leur labeur, pas même le dos qui coince, ni même le poids des impôts du seigneur. Quand un matin, il a fallu changer de ferme, reconstruire pierre après pierre un chez soi, de nombreuses nuits furent nécessaires pour récupérer des forces. Pas le temps de se plaindre, l’ouvrage prime. Alors quand le chant de Distant Sky arriva des cieux, les laudes furent reposantes, en communion avec un cœur en charpie. Amen.
Après le repas, la communauté s’en va se recueillir auprès de ses morts. Le cimetière est au pied de l’église, au centre du village. Paradoxalement, c’est un moment de joie, car au même endroit les derniers commerçants du marché vendent à prix d’or leurs denrées. Quand un homme aux allures d’Alain Bashung prend sa guitare, personne n’en croit ses yeux. « Pas possible, il est mort il y a dix ans ! » Et pourtant, c’est bien lui qui entonne une ode à la liberté et à l’amour. Il rappelle aux vivants de ne pas se laisser piétiner, et d’aimer, encore et encore, quand la vie vous en laisse le temps. Brûler une traîne et manger du raisin : un programme punk et romantique qui sonne comme le sens de la vie. La place est désormais vide, le rockeur a rangé sa gratte. Il rentre sous terre et un silence pesant envahit le village. Tout cela n’aurait-il servi à rien ?
C’était sans compter sur l’envie commune de sortir le soir venu. Le village si calme se transforme en bal disco géant. Boule à facettes, cotillons, piste pour faire du roller, et surtout la promesse d’une nuit légère et dansante. C’est alors que le tube inattendu de l’année surgit de partout. Plastic love chante l’amour, la légèreté, l’amusement, tout ce dont avait besoin les gens épuisés. L’ivresse est douce et le ciel, étoilé. Ce soir, nous sommes immortels.
Joji – « Slow Dancing In The Dark »
Extrait de Ballads 1 – 2018 – Slow Boss
070 Shake – « Accusations »
Single – 2018 – Stove Blood
PNL – « À l’ammoniaque »
Single – 2018 – Simballade
Parmi les bénéfices les plus spectaculaires d’Internet, je placerais sans conteste cette situation : au matin on ne connaît rien d’un artiste et le soir, on a non seulement découvert son nom mais surtout toute sa production musicale et accessoirement sa biographie jusque dans des détails qu’il ne soupçonne même pas lui-même ; le soleil n’est pas encore couché, mais on a déjà envie de corriger les biographes patentés et d’ajouter notre pièce fiévreuse à un puzzle dont nous ignorions l’existence la veille. George Miller alias Joji n’a pas uniquement écouté Yoni Wolf, Bon Iver et Frank Ocean, il a aussi une bonne connexion Internet. Et c’est un artiste.
Parmi les mérites les plus indiscutables de Kanye West cette année, il y a celui d’avoir servi d’ampli de luxe à l’émergence d’une voix. Le flow de 070 Shake est une épiphanie comme on voudrait en connaître plus souvent, jusqu’à ce qu’on se souvienne que la saveur ne serait plus la même : on n’aurait plus cette envie de tout entendre par le prisme de ladite voix, on ne serait plus enclin à relire le monde à travers ses inflexions ou à en imiter la direction à tout prix. Une chose frappe quand on voit en vidéo la jeune artiste qui va par le nom de Danielle Balbuena : sa gestuelle semble prolonger le grain des mots, elle est un bloc de récit pur, une charge absolue de bleu vital.
Parmi les quiproquos les plus nombreux entre la musique et moi, celui consistant à expliquer l’obsession est sans cesse au sommet. Tout devrait concourir à ce que les oreilles passent leur chemin. On entend ici des corbeaux, des R roulés, des coups de feu et une guitare sèche intarissable. Deux frères se succèdent au micro. Le second, le cadet, écrase l’autre de son ombre obsédante. Une magie trouble opère, peut-être nourrie par l’antique tragédie de la fratrie. Natifs de Corbeil, Tariq et Nabil se sont retrouvés ados dans un lycée de Brive, malheureux comme les pierres. Écrivant un roman de Peter Mayle à l’envers, ils ont formé le vœu de revenir à Corbeil pour faire ce rap vaporeux et sans espoir.
Miossec – « Bonhomme »
Extrait de L’Etreinte – 2006 – Berceuse
Angèle – « Balance ton quoi »
Extrait de Brol – 2018 – Virage
Savvier – « Warm sea »
Extrait de We are electricity – 2017 – Générique
Un soir, j’en ai eu marre de leur chanter « Au clair de la lune » et « Petit escargot », et c’est cette berceuse-là qui m’est venue. Une chanson méconnue de Miossec, datant d’une époque où il n’était déjà plus aussi flamboyant. Une berceuse ornée de flûtes jouant faux, comme le plus sincère des retours en enfance. Le regard bienveillant d’un père sur son petit bonhomme. Ma triplette de mioches ne s’y est pas trompée : depuis des mois, chaque soir, on exige de moi que je fredonne « Bonhomme », ses deux couplets et ses deux refrains. Une histoire de pluie qui tombe, de pieds sur la table et de confettis. J’espère que plus tard, mes gosses se souviendront de ces moments et de cette chanson.
Il y a 14 mois, le hashtag #metoo venait secouer Internet. Depuis, les choses ont-elles changé pour les femmes ? Le monde est-il singulièrement différent ? Franchement, je ne crois pas. Weinstein est l’arbre qui cache une forêt bien difficile à élaguer, celle des monstres bien protégés par le système, celle des comportements intolérables du quotidien aussi. Difficile d’exprimer cette frustration sans sombrer dans le manichéisme ou le pessimisme outrancier. Je crois qu’Angèle résume bien ça. Balance ton quoi. Un état de semi-conscience qui n’empêche pas le monde de continuer à maltraiter ses femmes, quel que soit le degré de mauvais traitement.
En novembre, sous l’égide de Slate.fr, j’ai lancé un podcast qui me tient à cœur. Un programme court (légère frustration là-dessus) mais à mon image : celle d’un type qui se pose un nombre de croissant de questions, qui n’observe plus le monde de la culture à travers le même prisme que lorsqu’il a lancé son blog cinéma en 2005. J’aime bien le morceau qui fait office de générique, choisi (je vous dois la franchise) dans une banque de titres libres de droits. Nous n’en sommes qu’à l’épisode 4, mais pour l’instant, les quelques notes qui ouvrent chaque numéro continuent de me donner un petit frisson de fierté et de fébrilité. Envie que ce podcast soit à hauteur des attentes, déjoue les critiques des personnes qui ont un avis dessus sans l’avoir écouté, et permette modestement de faire avancer les choses.