Glass : rêver d’avoir éternellement neuf ans
Sortie le 16 janvier 2019. Durée : 2h10.
« Je crée des super-héros ! » : quand le personnage de Mr. Glass (qui donne son titre au film) lance ce cri du cœur, difficile de ne pas voir M. Night Shyamalan s’exprimant à travers lui pour réaffirmer son rang de précurseur dans le domaine des films de super-héros. Car avant les glorieux Spider-Man et Batman de Sam Raimi et Christopher Nolan, il y eut en l’an 2000 l’extraordinaire Incassable. Plutôt que de relancer des héros et méchants existants, dans ce film Shyamalan en créait de nouveaux, vierges de toute référence et néanmoins épatants et émouvants. Glass en est la lointaine suite, rendue possible grâce au succès plus récent (il y a deux ans) de Split, où Shyamalan inventait un autre personnage doté de pouvoirs surhumains : La Horde, aux vingt-quatre personnalités dont une « Bête » aux capacités physiques extraordinaires. La Horde se joint dans Glass aux protagonistes d’Incassable, Elijah (Mr. Glass) et David, pour la conclusion de la trilogie et de leurs aventures.
Mais Glass révèle chez Shyamalan une aspiration encore plus intense que celle d’être reconnu comme créateur de talent : raviver un regard d’enfant. Dans Incassable, David devenait véritablement un super-héros car son jeune fils Joseph, convaincu qu’il en était un, le voyait comme tel – et les contrechamps sur le visage ébahi de Joseph étaient presque plus puissants pour le spectateur que les exploits de son père. Dans Glass, Joseph (joué par le même acteur) devenu adulte regarde toujours son père avec les mêmes yeux, la même foi infantile. Ce qui crée une connexion inattendue entre le camp des héros et celui des méchants ; puisqu’en face aussi, chez Mr. Glass et La Horde, le maintien d’une âme d’enfant est au cœur de leur conduite. L’être resté le plus proche de Mr. Glass est sa mère, c’est-à-dire celle aux yeux de qui il est toujours le petit garçon pour qui elle prenait peur quand il s’essayait à toutes les activités susceptibles de lui briser les os. Et parmi toutes les personnalités de La Horde, celle à qui Shyamalan accorde le plus de temps à l’écran dans Glass est Hedwig, un éternel garçon de neuf ans – que Mr. Glass adoube lui aussi, lors de leur première discussion : « ainsi tu verras toujours le monde tel qu’il est vraiment ».
En face, il y a le monde des adultes, avec pour principale représentante la psychiatre Ellie Staple, en anglais « l’agrafe » ; Staple fixe en effet les êtres dans des dossiers, les empêchant d’évoluer à leur guise, les privant de leur autonomie et de leur fantaisie. Elle emprisonne les trois héros à l’asile dans le but de les convaincre qu’ils n’ont pas de pouvoirs mais sont victimes de démence. Que ce monde des adultes, avec lequel Shyamalan n’a jamais eu aucune affinité ni aucun lien, soit de la sorte aux commandes de presque l’intégralité du film explique possiblement ses vices de construction. Les enjeux de Glass ne sont pas tous clairs ou probants, son récit cahote, peine à concentrer son énergie et à nous faire croire en continu à ce qu’il raconte. Shyamalan y contraint ses héros à une lutte contre la froide rationalité adulte, absente dans Incassable et Split où triomphait la croyance infinie des enfants en la puissance magique des contes.
Ce retour en force des adultes produit quelques audaces marquantes (le dernier acte où l’on sort tout juste de l’hôpital, le destin imposé aux trois héros), mais il donne surtout le sentiment que Shyamalan lui-même n’est plus aussi sûr de la force de sa foi. C’est la nostalgie de cette foi toute-puissante qui devient la force prééminente dans Glass, comme l’expriment les nombreux retours du cinéaste vers le passé, sous la forme de plans et scènes repris des films précédents, et de flashbacks sur l’enfance des personnages. Shyamalan voudrait croire, sans y parvenir complètement, que les enfants de neuf ans que sont ou ont été Hedwig, Joseph, Elijah peuvent encore guider le monde par leur regard. La séquence finale, fantasmant un transfert global de ce regard enfantin à tous nos écrans, et donc tous nos yeux, est le second cri du cœur poussé dans Glass par son auteur : une supplique aux spectateurs pour qu’ils le convainquent de la puissance toujours vivace de ses histoires.