Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

01. Anderson Paak – « Make It Better » (Christophe Gauthier)
Extrait de Ventura – 2019 – Soul du 3e millénaire
Quatrième album pour Anderson Paak, là encore baptisé du nom d’une banlieue de LA, après Malibu, Venice et Oxnard. À quelques détails près (comme les passages rappés ou la pléthore de producteurs, avec Dr. Dre pour encadrer tout ce beau linge), on pourrait penser qu’il s’agit d’un disque de soul-funk produit dans le milieu des années 80, avec sa production sophistiquée et ses chœurs chaleureux ; il n’en est rien. Preuve de ce grand écart entre l’âge d’or de la musique noire et le XXIè siècle, le single « Make It Better », sur lequel Paak s’offre la légende Smokey Robinson en featuring de luxe, leurs voix s’entremêlant à la perfection. À moins de 40 minutes au compteur, Ventura fait partie de ces disques qu’on se repasse une fois terminé, pour en saisir toutes les nuances et subtilités.

 

02. Purple Mountains – « All My Happiness is Gone » (Nathan)
Extrait de All My Happiness is Gone – 2019 – Retour dithyrambique
Je pourrais vous écrire un roman sur mon amour des Silver Jews, l’importance des textes et mots de David Berman sur les deux dernières années de ma vie, sur les heures passées à jouer ses chansons à la guitare et à fredonner dans la rue “Smith & Jones Forever”. Alors entendre sa voix à nouveau, sous le nom de Purple Mountains, réentendre ses associations de mots, me laisse justement sans voix. Mais mon cœur s’emballe dès qu’il murmure une nouvelle rime.

 

03. Arno – « Oostende Bonsoir » (Thomas Messias)
Single – 2019 – Larmes de bière
J’ai énormément de sympathie pour Arno. C’est un homme, un chanteur et un acteur que je trouve triplement touchant. Certaines de ses chansons m’emportent, de l’inévitable « Les Yeux de ma mère » à sa reprise du « Mother’s Little Helper » des Stones. Mais il reste une frustration : celle de n’être jamais tombé raide dingue de l’un de ses albums, où les bonnes chansons surnagent dans un océan de choses plus banales. Même Arno Charles Ernest, son meilleur disque à ce jour, aurait eu besoin d’être dégraissé de certains de ses morceaux, moins gracieux ou punchy que les autres. Fraîchement sorti, le single « Oostende Bonsoir » me redonne un peu d’espoir. Désabusé et imbibé, triste et énergique à la fois, il me rend optimiste et impatient de découvrir le prochain Arno dans son intégralité, à la fin de l’été prochain.

 

04. 21 Savage – « A Lot » (Guillaume Augias)
Extrait de i am > i was – 2018 – Imparé
Que faisais-je à Noël ? Sans doute quelque chose de suffisamment intéressant pour ne pas avoir saisi sur l’instant ce titre imparable de 21 Savage. Un éphémère scandale lié à la dissimulation soi-disant honteuse d’une naissance sur sol britannique – naissance qui n’a pourtant pas empêché Slick Rick et MF Doom d’entrer dans la légende – est passé par là entre temps, qu’importe. Basses à la LL Cool J période Bad (scratch à l’appui), sample soul en pilote auto, scansion rapide mais laid back à la fois, tout est captivant et simple dans ce morceau, où la vie humaine est réduite à un TOC relatif aux listes.

05. Fat White Family – « Rock Fishes » (Marc Mineur)
Extrait de Serfs Up! – 2019 – Electro camp
Ils sont là, quelque part, cachés parmi les milliers d’autres. Ils attendent leur heure, le moment de se révéler. On n’en a jamais entendu parler malgré une fascination pour cette musique dense et synthétique mais suffisamment barrée pour être attachante. Et puis on découvre par hasard un album varié, qui tire dans plein de directions et touche à chaque fois sa cible. Et puis on s’entiche d’un morceau, d’une douce mélancolie qui colle comme une mélasse qui ne voudrait plus nous quitter. La déconne est une chose bien trop sérieuse pour être laissée à des plaisantins.

06. Aldous Harding – « The Barrel » (Thierry Chatain)
Extrait de Designer – 2019 – Tube énigmatique
Mais que veut dire Aldous Harding ? Mystère. Je ne sais pas ce qu’elle entend par (grosso modo) “C’est déjà mort/Je sais que tu as la colombe/Je ne (me) mouille pas/On dirait qu’un rendez-vous est fixé/Montre l’œuf au furet/Je ne me laisse pas embrouiller”. Mais cela fait un un sacré refrain à ce joyau pop minimaliste, dans lequel on serait bien en peine d’ajouter ou retirer une seule note sans l’abîmer. Trois notes de piano, un contrechant simplissime de clarinette basse, un rien l’habille… Mais il ne faut pas se fier à la douceur enjôleuse de la voix de la Néo-Zélandaise, qui prend un malin plaisir au détour de ce fameux refrain à faire apparaître son double dissonant, et finit en répétant le titre jusqu’à l’obsession.

07. Big Thief – « Jenni » (Benjamin Fogel)
Extrait de U.F.O.F – 2019 – Indie folk
Depuis la sortie de son premier album en 2017, Big Thief s’impose comme l’un des grands noms de l’indie folk américaine. Sobres, touchantes, habitées par des mélodies stimulantes et une énergie contenue, leurs chansons marchent à tous les coups avec un mélange de maîtrise et d’instinct surprenant. Sur U.F.O.F, Adrianne Lenker réalise de nouvelles merveilles au chant, poussant à al réécoute en boucle des titres. Et puis, perdue au milieu de ce paysage folk sans âge, se trouve « Jenni » : une base folk réinventée en titre shoegaze pour un des sommets indie pop de l’année.

08. Céline Tolosa – « Qui je suis » (Arbobo)
Extrait de Vendredi soir – 2018 – Pop française
Certes, ce n’est pas encore un artiste du niveau de Marie-Flore, dont le virage en français est de plus en plus bluffant, mais il ne faut pas négliger les jolies surprises. Qui je suis, avec sa prod léchée et son chanter-parler sensuel, me fait entendre Céline Tolosa différemment. L’alternative française fourmille, et même si ça ne tient pas toujours sur la longueur d’un album, gardons les esgourdes ouvertes.

 

09. The Rolling Stones – « Out of Time » (Erwan Desbois)
Extrait de Aftermath – 1966 – Tour de magie tarantinesque
Le mois de mai, pour moi, c’est essentiellement le festival de Cannes. Et cette année au festival de Cannes, l’événement était la présentation du nouveau film de Quentin Tarantino, Once upon a time… in Hollywood (qui sort en France le 14 août). Un film magnifique, plus sobre et émouvant, moins tapageur et exubérant que ses précédents, à l’exception peut-être de Jackie Brown. Même s’il est moins ostensiblement mis en avant, le don du cinéaste pour dénicher les chansons qu’il faut, et les caler là où il faut pour sublimer et la scène et le morceau en question, ne se dément une nouvelle fois pas. L’heureux élu étant ce titre des Stones première époque, qui colle à merveille à l’émotion véhiculée par le récit, et qui reste en tête longtemps après la projection.

 

10. TC Matic – « Putain Putain » (Isabelle Chelley)
Extrait de Choco – 1983 – Hymne dégligué
Dans un monde idéal, on aurait choisi depuis longtemps cette chanson de l’ancien groupe d’Arno comme hymne européen. Bruitiste, cabossé, surréaliste sur les bords, jubilatoire et punkisant, le morceau est aussi bordélique que le Brexit, mais nettement plus réjouissant. Trente-six ans plus tard, la voix de bluesman d’Arno, sa façon de dire « jolie mademoiselle » sans avoir l’air creepy et cette espèce de bonne humeur déglinguée générale n’ont pas vieilli. Leur effet revigorant, voire réconfortant, opère toujours sur moi. Et ça, putain, putain, ça, c’est vachement bien…

 

11. Gal Costa – « Nao Identificado » (Sarah Arnaud)
Extrait de Gal Costa – 1969 – Ballade de l’espace
Nao Identificado est une composition de Caetano Veloso pour Gal Costa. Démarrant sur un brouhaha tonitruant, on se croirait dans le futur. La chanson est définie dans les paroles mêmes, comme l’ovni qui sera envoyé dans l’espace. Pas de destination, pas d’identification. Une chanson qui dira tout, qui parlera d’être seul et amoureux. Costa chante à une femme, à la place d’un homme. C’est les paroles qui comptent. La fulgurance de ce nouvel amour est tellement forte qu’elle en traverse l’univers. Le sentiment devient véhicule supersonique mais dans une ballade qui sent bon les années 70 et les fleurs dans les cheveux. La chanson inaugure le prochain film de Kleber Mendonça Filho, Bacurau. Film, qui comme les paroles lancées par Costa, nous fait croire à de la science fiction pur jus. Et de la même manière que le film s’attache à l’humain, à l’intention violente, amoureuse, sentimentale, la romance prime. Le morceau porte en lui une vision de l’espace un surannée, un peu gauche. Nao Identificado a cette couleur du futur idéalisé, du cosmos ultra romantique. Chez Costa, comme chez Mendonça Filho, ce n’est pas le sujet : ce qui reste, c’est la pression, la vitesse, la puissance de l’appel sentimental qui traverse l’espace intersidéral.