01. Bill Callahan – « Black dog on the beach » (Benjamin Fogel)
Extrait de Shepherd in a Sheepskin Vest – 2019 – Folk
Sur son seizième album, Shepherd in a Sheepskin Vest, Bill Callahan continue d’explorer la thématique des chansons d’amour avec un double enjeu : ne pas répéter ce que les autres ont déjà fait et ne pas répéter ce qu’il a déjà fait lui-même. C’est un succès tant les chansons arrivent à surprendre et à générer de l’enthousiasme. Dénué de cynisme, Bill Callahan considère que les histoires d’amour sont différentes pour chaque personne, mais aussi selon les moments de la vie des personnes. Suite à la mort de sa mère, son mariage et la naissance de son fils, il propose ainsi quelque chose d’inédit qui n’appartient qu’à lui, avec une recherche permanente de la justesse, où se juxtapose long travail d’écriture et spontanéité dans le jeu. Magnifique.
02. Furniss – « Homecoming » (Thomas Messias)
Extrait de Essays – 2019 – Grâce
La première fois que j’ai entendu « Homecoming » et les autres morceaux de l’EP Essays, je me suis téléporté dans l’Ouest américain. Comme lorsque j’ai découvert Bertrand Belin sur le tard, j’ai démarré un voyage intérieur fait d’étendues désertiques, de feux de bois qui réchauffent et d’esprits qu’on convoque la nuit tombée. Cet été, quand je prendrai la route en solitaire, la voix troublée de Miriam Furniss-Yacoubi m’accompagnera, comme pour me rappeler si besoin que je ne suis pas seul.
03. Flying Lotus – « Fire Is Coming » (Guillaume Augias)
Extrait de Flamagra – 2019 – Blues Lodge
On verse d’abord une larme – oh pas de quoi éteindre un feu – sur la carrière de Thavius Beck alias Adlib, virtuose d’Ableton et moitié de la plus grande avancée rap jamais connue, Labwaste. Doublé et bientôt ringardisé par son voisin angelino plus jeune que lui – en l’espèce Flying Lotus, que nous vîmes percer il y a dix ans au Nouveau Casino – il ne peut que constater la venue, sur le nouvel album du poulain devenu star, de David Lynch en personne. Le cinéaste-star y évoque une substance proche de la glue de Coincoin et les Z’inhumains, annonçant un incendie soudain tel celui, le plus grand jamais connu par la Californie – dont le nom pourrait venir de l’espagnol “calor horno”, lointain souvenir du Paris d’ancien Régime dont les fours à pain étaient bannis par crainte des flammes –, incendie causé, on vient de l’apprendre, par l’étincelle d’un coup de marteau sur un clou censé contribuer au coffrage d’un indésirable essaim d’abeilles.
04. Janelle Monáe – « Make Me Feel » (Isabelle Chelley)
Extrait de Dirty Computer – 2018 – Too damn hot
Ok, Prince est mort… mais il nous reste Janelle, sa digne héritière, encore plus déjantée et charismatique – oui, ça tient de l’exploit, mais elle place la barre très haut. Ce morceau syncopé, tiré du très chaud Dirty Computer, fait monter la température avec son cocktail de murmures, de gémissements et de paroles très directes. On aime sa rythmique très basique et efficace au début et sa montée orgasmique finale qui nous laisse essoufflée et moite. A moins que ce ne soit un effet secondaire de la canicule…
05. Mini Mansions ft. Alison Mosshart – « Hey lover » (Sarah Arnaud)
Extrait de Guy walks into a bar… – 2019 – Amourette décapante
« Hey lover » est un cri du coeur mais version tranquille, qui se balance, qui chaloupe du keyboard. Entre l’instru psychédélique de Mini Mansions et l’âme déchirante de Alison Mosshart, on converge vers une ballade un peu tradi sur fond de sentiments râpeux : un mélange qui se plaint, se complaît, se plaît dans une chanson d’amour à la fois suave et un peu acre. Mosshart décrit la production du dernier titre de Mini Mansions comme différente : l’habitude c’est normalement de crier toutes ces paroles, tous ces mots. Là, on prend son temps, on assume, on réitère : « But now isn’t then, we’ve been here before ». Nos protagonistes sont déjà passés par là. Difficile de dire s’il s’agit d’une chanson de rencontre ou de rupture. Peut-être que c’est les deux : une relation amoureuse brisée et habituelle, abrasive et affectueuse. Et c’est exactement à ça que ressemble le son de « Hey lover » : ces lignes qui disent lover et fucker dans le même souffle, cette détente dans la guitare qui parle de passion et de douceur. Un hymne à l’amour fou, de tous les jours.
06. Hot Chip – « Melody of Love » (Erwan Desbois)
Extrait de A Bath Full of Ecstasy – 2019 – Gospel profane
Le septième album des anglais de Hot Chip est un de leurs tout meilleurs. Il y est plus que jamais question de boucles électro irrésistibles pensées pour faire danser, et de paroles à fleur de peau écrites pour exprimer des émotions intenses sans filtre ; la plupart ramenant à l’extase dont il est question dans le titre du disque. Une extase profane, dont la quête passe par la danse et l’amour – la melody of love du morceau qui ouvre l’album, au milieu duquel le groupe a inséré un sample de gospel parfaitement à sa place. Cet extrait s’achève par la phrase « I feel like preaching now » : la musique de Hot Chip, c’est du gospel sans Dieu (et No God, c’est le titre du morceau qui clôt l’album).
07. Her Name Is Calla – « The Dead Rift » (Marc Mineur)
Extrait de Animal Choir – 2019 – Chant du Cygne
On savait que la formation anglaise mettait la clé sous le paillasson. On ne savait pas par contre qu’ils avaient un album sous le bras, on ne se doutait donc pas à quel point on serait bouleversés. Parce que si les artistes mettent énormément d’eux-mêmes dans un premier album, on devine ici qu’ils ont tenté et réussi d’en faire leur plus éclatante réussite. Alors on retrouve en vrac la tension de Swans, des origines post-rock qui permettent une belle ampleur et aussi des excursions que ne renierait pas la bande de Thom Yorke. Même de bons amis peuvent encore nous surprendre.
08. Future – « Side Effects » (Nathan)
Extrait de Honest – 2012 – Rap
Je suis retombé dans Future sans raison. Et au fil des réécoutes, j’ai découvert « Side Effects » comme si je ne l’avais entendu auparavant. Le beat m’a hanté, les “you fuckin’ superstar” de Future aussi. Il y a quelque chose de beaucoup trop sincère dans ces presque deux minutes.
09. We only said – « Go past » (Arbobo)
Extrait de My oversoul – 2019 – Post rock rennais
Dans le rock indé français, une veine sombre court depuis les avant-bras et remonte jusqu’aux tempes. Quand on démarre l’écoute du nouvel album de We Only Said, on sent vite une filiation avec les guitares bourdonnantes de l’écurie post-rock Constellation, voire de prédécesseurs britanniques comme les Pales Saints (en moins vocaux), ou encore des français Hitchcock Go home. Le troisième album du groupe de Florian Marzano est sorti dans le semi-anonymat dont la bande de Trunks et Laetitia Sheriff ne sortent que par intermittence. Avec modestie et amour de l’art bien fait, ils font pourtant des disques qui ne prennent pas de ride.
10. Roky Erickson & Bleib Alien – « Red Temple Prayer (Two Headed Dog) » (Thierry Chatain)
Single – 1975 – Post-psychédélisme proto-punk schizophrène
Récemment disparu, Roky Erickson, l’ancien chanteur des Thirteenth Floor Elevators, l’un des tout premiers – et non des pires – groupes de garage-rock psyché, a été victime de l’abus de LSD et d’un séjour de choc en HP pour fous criminels. Séjour qui le laissera dans un état psychique pour le moins fragile, obsédé notamment par les films d’horreur et les extra-terrestres – dont il pensait faire partie. Le premier titre qu’il a signé après ce fatidique stage en HP donne envie de lui donner (dé)raison. Si parler de démons pour un artiste est devenu un cliché, Roky beugle ici, en 1975, dans cette première version lo-fi de “Red Temple Prayer (Two Headed Dog)” – il y en aura deux autres, plus classiquement “musicales”, mais tellement moins intenses – comme s’il avait vraiment à ses basques tous les diables de l’enfer, qui se seraient emparés de guitare à peine accordées pour en jouer comme des équarrisseurs. Un boucan foutraque, extrême et possédé. Vraiment insensé.