Laura Vanetti, 28 ans, s’apprête à mettre un point final à sa thèse. Plus que quelques mois de travail qui clôtureront six ans de recherches sous la direction de Luc Pailleron, son maître de thèse, un homme sensible et passionnant qui est la pierre angulaire de son développement intellectuel. Quand Luc Pailleron est retrouvé mort dans son bureau, c’est tout l’univers de Laura Vanetti qui s’effondre. Elle ne croit pas aux conclusions de l’enquête : une personnalité si enthousiaste à l’idée de comprendre le fonctionnement du monde ne peut pas mettre volontairement fin à ses jours. Confrontée à plusieurs figures de l’enseignement – Christine Colas, la Directrice de l’université, Bruno Koiransky, ennemi juré de Pailleron – Laura réalise que derrière le professeur émérite, dont le cheval de bataille était de dévoiler combien la finance est devenue un nouveau culte religieux, se cachait un activiste politique, à la tête d’un grand projet, de nature incertaine, mais aux répercussions suffisamment graves pour inquiéter le gouvernement.
Sous ses airs d’enquête dans le milieu universitaire, L’Apocalypse est notre chance est un roman qui interroge la place de la recherche et de la sociologie au sein de nos sociétés, illustre la scission entre des intellectuel·le·s, convaincu·e·s de la nécessité de déconstruire le monde pour en étudier les rouages, et une grande partie de la population, acceptant le monde tel qu’il est, persuadée que les universitaires passent leurs journées à couper les cheveux en quatre et représentent un coût inutile pour les finances publiques.
Ava Fortel – nom de plume derrière lequel se cachent deux autrices – ne fuit jamais son sujet. Elle ose détailler le contenu des recherches de ses protagonistes, explique en détail en quoi une société qui ne pense plus le monde est une société morte. Alors que le décès, lors des premières pages du texte, laisse supposer qu’on en saura pas plus sur les préoccupations intellectuelles de Luc Pailleron, présenté comme un savant de haut niveau, l’écrivaine rentre dans le vif du sujet et nous met en présence de sa pensée au travers des notes retrouvées de ce dernier.
Peu à peu, l’université n’est plus le cadre d’une enquête, mais le sujet même du livre : les oppositions entre les personnages servent à illustrer les jeux de pouvoir qui régissent l’enseignement supérieur ; la narration navigue entre la grandeur des idées et les petitesses humaines ; le sujet des thèses devient le moteur des histoires personnelles, et inversement. À la question « quel est le rôle de l’université aujourd’hui ? », Fortel répond que c’est le propos qu’elle produit qui donne du sens à l’action sociale et politique. C’est la pensée universitaire qui permet de tracer la limite entre le terrorisme monstrueux et les combats nécessaires.
Sans jamais sacrifier le rythme aux développements intellectuels, L’Apocalypse est notre chance propose des passages très réussis sur l’écriture – sous la forme d’un espace-temps continu – et les raisons de rechercher le pouvoir.
Le livre expose aussi l’idée que les enquêtes policières suite à un décès sont avant tout un moyen d’éviter de faire face à la mort, de rester dans le déni. L’enquête joue alors un double rôle : intellectuel via la mise en valeur la structure de l’université et émotionnel telle une étape à part entière du processus de deuil.
Encore un beau roman noir qui s’appuie sur les mécanismes du polar pour questionner la société, ici au travers de son rapport à l’une de ses principales institutions.