01. Daniel Johnston – « Honey I sure miss you » (Christophe Gauthier)
Extrait de Artistic Vice – 1991 – Joyau brut
On ne reviendra pas sur l’histoire torturée de Daniel Johnston, sa naïveté et sa pureté, ses problèmes mentaux. Contentons-nous d’écouter ses chansons, d’une brutale honnêteté, bricolées avec trois fois rien, qui par surprise serrent la gorge et mouillent les yeux au détour d’un refrain magnifique. “Honey I sure miss you” commence comme un titre de Syd Barrett, change de rythme comme il peut en cours de route façon Shaggs, et s’orne d’une mélodie vocale rappelant par instants McCartney (que Johnston vénérait). Sidérant.
02. Iggy Pop – « Paraguay » (Erwan Desbois)
Extrait de Post Pop Depression – 2016 – Majeur dressé
Ce mois-ci sort un nouvel album de l’increvable Iggy Pop, Free. Iggy y passe autant de temps à chanter qu’à déclamer pensées personnelles et poèmes sur fond d’arrangements musicaux dépouillés, ce qui donne à cet album des airs de lettre envoyée pour donner des nouvelles, depuis un endroit lointain, par quelqu’un n’ayant nulle velléité de revenir. Cette ambiance, le titre de l’album et sa jaquette font de Free la suite directe du beau dernier morceau de l’album précédent d’Iggy Pop (Post Pop Depression), intitulé “Paraguay”. Iggy y chante (puis y éructe) son rejet viscéral de ce qu’est devenu le monde occidental contemporain, avec une verve mi-lyrique mi-vulgaire qui fait des ravages à chaque vers. « I’m gonna pack my soul and scram », dit-il entre autres ; avec Free il a joint le geste à la parole, sans rien regretter.
03. Bat For Lashes – « The Hunger » (Marc Mineur)
Extrait de Lost Girls – 2019 – Pop moderne eighties
Natasha Kahn est impeccable, comme toujours. Spécialement à l’aise pour raconter des histoires qui semblent issues d’une vieille VHS, elle propose un son un peu lisse très marqué par les années 80 mais parvient comme toujours à tout emporter par son interprétation intense. On vous a déjà dit qu’on aimait Bat For Lashes ? Ce morceau incarne tout ça, faussement froid, vraiment entêtant et empli de cette irrésistible humanité.
04. Fairouz – « Baalbek » (Arbobo)
Extrait de 45t – 1962 – Légende du Levant
Fairouz a presque l’âge de Jacques Chirac, et sa légende est intacte. Très tôt elle a commencé à chanter au festival de Baalbek, l’un des plus importants du monde arabophone et au-delà. Dans ce site antique admiré mais aujourd’hui déconseillé aux touristes français, elle a construit un lien avec son public toujours plus large. En moins de trois minutes, elle nous donne des images pour toute une nuit.
05. Better Oblivion Community Center – « Dylan Thomas » (Nathan)
Extrait de Better Oblivion Community Center – 2019
J’ai souvent pardonné à Conor Oberst de tourner en rond. Parce que Bright Eyes, parce que quelques chansons solo ici et là sont belles à pleurer (“Milk Thistle” ou “Lenders in the Temple” par exemple). Et parce que, que je le veuille ou non, son écriture un peu geignarde me touche toujours, même plus de 15 ans après avoir entendu ses chansons, quand elle parlait à l’ado que j’étais.
Phoebe Bridgers, de son côté, change tout ce qu’elle touche en or (allez écouter Boygenius). Et elle rend Conor complètement pertinent. Ce “Dylan Thomas” est ce qu’il a sorti de mieux depuis des années parce que c’est une chanson de Phoebe Bridgers aussi. Et il y a dedans ces quelques lignes d’une simplicité folle, qui sont sûrement mes 3 lignes préférées de l’année.
So sick of being honest
I’ll die like Dylan Thomas
A seizure on the barroom floor
06. Lana Del Rey – « The Greatest » (Guillaume Augias)
Extrait de Norman Fucking Rockwell – 2019 – Je vidéo
L’écoute commence par un paradoxe, par une de ces révoltes qui réjouit. Car en poussant sa voix du côté des chœurs, la production choisie par Lana Del Rey la fait ressembler à Joan Baez, pourtant peu férue d’effets. Puis il y a ce hook de cinq notes pianotées qui vous fait connaître d’emblée, par cœur sans y être jamais allé, Los Angeles, Long Beach, la ville de Nicolas Cage et tout le saint-frusquin. Les réticences à l’idée d’un univers passéiste, exagérément néo-rétro, ironique-ikea, ces réticences bientôt tombent tant les réserves ne sont plus de mise. Lana Turner est convoquée. Le virus nous guette.
07. Rain Phoenix (ft. Michael Stipe) – « Time is the killer » (Esther)
Extrait de Time Gone – 2019
Il est doux de découvrir un artiste par l’intermédiaire d’un autre artiste qu’on admire. J’ai découvert Rain Phoenix dans une interview donnée par son frère Joaquin. Il parlait d’elle avec émotion et fierté. Cela m’a, je crois, fait aimer cette chanson avant même de l’avoir écouté… Dans ce titre intitulé “Time is the killer”, Rain chante en compagnie de Michael Stipe, leader de feu R.E.M. Une chanson aux accents folk à la fois triste et apaisée, douce-amère comme l’est la vie. On retrouve sur ce disque plusieurs morceaux inédits de Aleka’s Attic, le groupe de River Phoenix, l’ainé de Rain et Joaquin décédé en 1993 à l’âge de 23 ans. « Everyboy’s crying, For those, Who go, Before their time », chante Rain à son frère disparu. Un hommage pudique.
08. Talking heads – « This must be the place » (Sarah)
Extrait de Speaking in tongues – 1983 – Chanson conjugale
Groupe phare de la new wave, Talking Heads étonne en sortant cette mélodie naïve, qui date de 1983. C’est ainsi même que la sous titre le compositeur et leader David Byrne. Naïveté par rapport à un groupe plus raide, plus rude, plus âpre, « This must be the place » déroule une question et une réponse au bonheur quotidien, presque conjugal. Le chanteur se sent bien là où il se trouve, dans cette relation, dans cet espace adoré et adorable. Une chanson douce, avec un petit couac : il n’a pas l’habitude ! “I guess I must be having fun” Lui même est surpris, perturbé, de la quiétude potentielle qui s’échappe d’une relation agréable, d’un apaisement tout nouveau, tout doux. Une structure musicale à la philosophie du “moins, c’est plus”, c’est de la simplicité pure qui souffle sur cette chanson et s’extirpe pour nous raconter ce réveil étrangement facile à la sérénité. La voix pique l’attention par endroits, nous laissant vigilants, toujours surpris, puis la mélodie reprend le dessus, calme les tensions, redevient accueillante. Ceci doit être le bon endroit, ceci doit être le bonheur.
09. Grant Lee Buffalo – « Fuzzy » (Thomas Messias)
Extrait de Fuzzy – 1993 – Pop FM
Le plaisir actuel, c’est de délaisser les chaînes d’informations et les podcasts pour se brancher sur la FM belge et rouler au son de tubes (ou de pseudos-tubes) pop, rock ou même jazz du siècle dernier. C’est le bonheur d’entendre les animateurs et animatrices prononcer les noms des artistes, des morceaux et des albums dans un anglais irréprochable. C’est la délectation de ce « mille neuf cent nonante-trois » qui me donne l’impression d’avoir parcouru des centaines de kilomètres, vers une terre où la langue n’est pas exactement la mienne. Alors que je n’ai roulé qu’une quinzaine de minutes entre mon domicile et mon lieu de travail. Parmi les découvertes de septembre, il y a ce “Fuzzy” accrocheur, dont je n’avais jamais entendu parler et que je découvre un bon quart de siècle après. Il n’est jamais trop tard.