Parking Péguy de Charles Coustille et Léo Lepage : les voies du salut
Paru le 28 août 2019 aux éditions Flammarion.
Il existe un rond-point nommé Coluche du côté d’Opio, dans les Alpes-Maritimes, non loin de là où l’humoriste a trouvé la mort au guidon de sa moto en 1986. J’ignore pour quelle raison, car ce sont davantage les tripes dont il s’agit, mais mon sang s’est glacé à la lecture du panneau annonçant le giratoire. Nous sommes habitués depuis le plus jeune âge à la présence de patronymes célèbres dans notre quotidien, par le truchement des voies nommées en leur hommage. Se pencher sur la portée de ce phénomène au nom barbare d’odonymie, mélange d’onomastique et de toponymie, est un projet dans lequel Charles Coustille et Léo Lepage se sont lancés par hasard, mais non sans talent.
Arrivé par hasard à la connaissance du jeune professeur de lettres Charles Coustille via Google Maps après un clic malencontreux, cet espace portant le nom du poète et polémiste, mort pour la France, dit beaucoup de la place qu’il trouve dans le paysage intellectuel : un lieu satellite, peut-être abandonné, sûrement fascinant. Léo Lepage, formé à la Fémis, saisit par son regard épique le caractère singulier de cet endroit nommé Péguy et de beaucoup d’autres, suggérant les points communs que son camarade écrivain souligne avec profondeur par une actualisation des textes du grand disparu.
Péguy a grandi à Orléans avant d’étudier, puis de vivre à Paris qu’il n’aura guère quitté que pour la Beauce des champs de blé et de la cathédrale de Chartres (tant chantée par ses superbes Tapisseries) ou pour la Brie des champs de bataille qui l’auront vu tomber en héros. « Paris appartient à ceux qui pendant les mois d’été préparent la campagne d’hiver. » Fustigeant dès qu’il pouvait les candidats à la villégiature lointaine, l’écrivain directeur des Cahiers de la Quinzaine a aujourd’hui une rue de la capitale à son nom qui est un petit coude proche du boulevard du Montparnasse et longeant l’église Notre-Dame-des-Champs. On y voit des badauds semblant bien loin de sa ferveur quotidienne.
Ailleurs, à Créteil, dans le Vaucluse ou en Lorraine, les lieux sont propices à l’anecdote, mais Coustille y voit pourtant toujours le reflet mis à jour d’un corpus fertile. Il faut préciser que, par un concours de circonstances s’ajoutant au caractère fortuit de leur aventure, les deux compères ont pris la route, ou plutôt les routes Péguy en pleine colère des Gilets jaunes, peuple des ronds-points accédant à la revendication et aspirant au respect. Il n’est pas interdit de voir dans cette France-là, soudain réveillée, l’avènement d’un pays dont toutes les voies nommées Péguy seraient la carte la plus représentative.
D’ailleurs, et c’est bien là la marque d’une œuvre unique, Péguy aura souvent été revendiqué à l’instar du mouvement issu du 17 novembre 2018 par des fractions opposées du champ des idées, tantôt pour son catholicisme fervent, tantôt pour son socialisme radical, tantôt enfin pour un mélange des deux, maelström d’existentialisme à tendance personnaliste pour qui se reconnaît dans la formule « socialistes parce que chrétiens ». Ainsi, encore aujourd’hui, le volume dont il est question dans ces lignes sera tout autant encensé par le webzine exigeant Diacritik, placé à la gauche de l’Internet, que par les pages du Figaro, dont on laisse le lecteur apprécier la distance qui le sépare du précédent média cité.
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