Attend-on encore avec impatience un album de Bright Eyes ? C’est certes un groupe, mais toute l’attention est focalisée sur le personnage de Conor Oberst. Après trois escapades, le sympathique album solo occasionnellement brillant, le très peu convaincant Conor Oberst And The Mystic Valley Band et le pas écouté Monsters of Folk, attend-on encore fébrilement le successeur du mitigé Cassadaga ? Sans doute pas, mais il y a suffisamment de raisons pour quand même laisser une chance à sa dernière production. Ce garçon avait tout pour lui, un talent précoce et productif (c’est le onzième album de Bright Eyes et il a trente ans…), une sensibilité, une voix reconnaissable, d’incroyables réussites hors de son pré carré. Il pouvait aussi tenter de la chanson engagée rentre-dedans comme on en avait perdu la trace depuis quarante ans (When The President Talks To God, amusant de relire cet article d’époque) ou réussir des pièces montées. Mais on sait que le talent seul ne permet pas une évolution passionnante (Billy Corgan, quelqu’un ?) et cette attente n’a été gratifiée que par à-coups.
Depuis son excellent diptyque Digital Ash In A Digital Urn/I’m Wide Awake It’s Morning, on a retrouvé une tendance à se rapprocher de temps en temps d’un americana stricto sensu, en clair, de la country qui laisse souvent les oreilles européennes perplexes. Il a aussi exploré des voies plus doucereuses, voire carrément mièvres, surtout sur Cassadaga. Ne pas retrouver ici ces deux tendances qui nous avaient un peu laissé sur le carreau est déjà en soi une satisfaction, même si le retour vers une forme qui nous avait mieux plu se voit confronté à des compositions plus faibles.
Il ne s’est toutefois pas complètement débarrassé de certains tics puisque l’album commence comme le précédent par un long monologue toujours un peu crevant. C’est pourtant clairement le son de Digital Ash qu’il essaie de retrouver sur One For You, One For Me mais c’est bien trop évanescent, léger et répétitif, et n’a pas l’ampleur de la géniale pièce montée I Believe In Symmetry. C’est d’ailleurs la tendance générale de cet album, c’est vers cette forme-là, plus pop, faisant appel à moins de sons traditionnels. Evidemment, sans l’aide de The Faint (Clark Baechle vient joue de la batterie pourtant) la forme est moins pointue, plus passe-partout, mais on le sent soucieux de s’éloigner de l’americana stricto sensu, de donner tort à ceux qui par facilité auraient voulu voir un lui un Dylan des temps modernes. Paradoxalement, c’est en choquant par l’adjonction de bruit dans son folk que Bob est rentré dans l’histoire. Rien n’est choquant ici, de plus il est difficile de surprendre de façon purement musicale de nos jours. Je veux donc dire qu’on aurait apprécié encore plus d’audace formelle.
D’autant qu’on déplore de le voir mouliner un peu à vide (Beginner’s Mind). En clair, dans le genre, rien n’approche les fulgurances passées. De même, il ne fallait sans doute pas tenter la cassure jusqu’aux synthés de Shell Games. Il reste cependant quelques trouvailles mélodiques qui au final rendent l’écoute de cet album plaisante.
Dans ses meilleurs moments, Conor Oberst peut être bouleversant. C’est sans doute ce qui nous a fait passer l’éponge sur ses demi-réussites et ses semi-échecs, mais nous a souvent poussé à la déception de ne plus vibrer comme avant. Ce retour montre qu’il est un artiste qui va de l’avant, qui cherche encore. Il est loin d’avoir trouvé la formule magique mais le voir ne pas poursuivre des voies sans issues est rassurant. De toute façon, celle ou celui qui ne voudra n’apprécier qu’un aspect à la fois de Conor et rejeter les autres s’expose sans conteste à la déception. Certains peu au fait de sa carrière ont même pu parler de virage rock. Cet artiste très populaire de l’autre côté de l’Atlantique va encore évoluer, et on continuera à prendre des nouvelles en s’empêchant d’attendre un chef d’œuvre dont il n’est jamais à l’abri.
Note : 6,5/10
>> A lire également, la critique de Thomas Sinaeve sur le Golb et la critique de Nathan sur Brainfeeders & Mindfuckers