Le Soldat désaccordé de Gilles Marchand : Retrouver les disparus pour réapparaître
Sortie le 19 août 2022, aux Forges de Vulcain
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, un soldat français qui a perdu une main sur le champ de bataille, sans pour autant abandonner le combat – par patriotisme, mais surtout par loyauté envers ses camarades –, cherche à donner un sens à sa vie. Présenté à Blanche Maupas, une veuve persuadée que son homme, fusillé par les siens pour refus d’obéissance devant l’ennemi, a été condamné à tort, l’ancien combattant devient spécialiste des questions laissées sans réponse, enfouies sous les cendres de la Grande Guerre, et des injustices nées au milieu du chaos. Il œuvre à la réhabilitation des soldats, identifie les dépouilles des morts pour rendre les corps aux familles, mais aussi parcourt la France, à la demande de femmes, convaincues que leur mari ou leur fils s’en est sorti et croupit dans un hôpital, blessé ou amnésique, attendant que ses proches le retrouvent. C’est dans ce contexte que le héros est chargé par Jeanne Joplain de retrouver son fils, Émile. Une enquête qui se déroulera sur des années, avec en toile de fond l’histoire de la légendaire « fille de la lune », jeune femme mystique que les poilus jurent avoir vue à leur chevet dans les tranchées et dans les pires moments.
On ne connaît jamais le nom du personnage principal du Soldat désaccordé de Gilles Marchand. À la recherche de jeunes hommes dont il connaît l’identité, mais qui sont potentiellement décédés, il ère tel un spectre, privé de son existence, espérant retrouver une place dans le monde, en donnant de la matérialité aux disparus. Le Soldat désaccordé explore la complexité et l’absurdité de la guerre, en redonnant une voix, expurgée de tout cliché, aux soldats français. Il interroge l’histoire et l’héroïsme, la valeur des monuments aux morts et la place des vainqueurs, notamment via la situation insensée de L’Alsace-Lorraine.
C’est un livre sur le deuil, l’absence, la quête des morts, les faux espoirs, qui, comme toujours chez l’auteur, combat en toile de fond les discriminations et les injustices. Autre élément récurant dans l’œuvre de Gilles Marchand : le réalisme magique. S’il est bien présent dans Le Soldat désaccordé, amené toujours habilement, il reste cette fois à la périphérie du texte, parce que la réalité de la guerre s’avère trop atroce, pour que le fantastique puisse s’y immiscer. La poésie et la fantaisie de Gilles Marchand sont ainsi bien présentes, mais tourmentées par le réel. Jamais l’approche de l’auteur n’a autant flirté avec le documentaire : derrière chaque ligne, chaque récit, chaque personne, on sent les centaines d’heures de travail et de documentation, pour coller au plus près de l’Histoire. On se retrouve alors face à un roman court, mais d’une densité rare, qui mélange les genres avec aisance. Sans la moindre complaisance avec les faits et vidé de tout héroïsme guerrier, Le Soldat désaccordé est un texte fédérateur, beau et sombre.