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Trouver refuge de Christophe Ono-Dit-Biot : la quête du sublime

Publié le 25 août aux éditions Gallimard

Par Benjamin Fogel, le 07-09-2022
Littérature et BD

Adolescents, Sacha et Alex sont inséparables, soudés par leur passion pour la littérature et leur envie de découvrir le monde et ses cultures. Un événement, qu’ils ont mutuellement promis de garder secret, marquera le délitement de leur relation. Des années plus tard, il ne reste rien de leur amitié. Ils ont chacun suivi des routes diamétralement opposées. Sacha est un journaliste, option historien, et un père de famille comblé. Alex, lui, sous le nom de « Papa », à la tête d’un parti nommé « La Famille », a accédé à la fonction suprême et dirige le pays, à coup de « discours de haine dissimulée sous la bonne foi. » À la lisière du totalitarisme, sa politique prône le retour sur soi, remet au premier plan les rites français – pour les anti-européens, le drapeau européen évoque soudain la couronne de Marie dans l’apocalypse de Jean –, pervertit le féminisme pour glorifier le patriarcat – via les semen, des femen d’extrême droite pro famille et natalité, ou encore en soutenant la mise en place d’un salaire pour les mères au foyer, afin de les libérer de la charge mentale, consécutive à la nécessité de gérer de front vie de famille et  vie professionnelle – et dénonce la cancel culture. Une bascule s’opère vers un populisme, gorgé de la haine des élites et des sachants, des intellectuels et des professeurs. Pour le président, les relais de l’information étatique sont les seuls à être « véritablement éveillés ». En somme, les anti wokes se sont radicalisés et ont révélé être ce qu’ils dénonçaient à tort : tout ce qui n’est pas sous leur contrôle les offense.

Sacha connaît le passé de « Papa ». Il détient de quoi enrayer son ascension, mais se tait, parce qu’il a promis. Pourtant, quand sa femme, Mina, professeure à l’Université, lui fait remarquer qu’il courbe l’échine face au destin funeste du pays, Sacha est pris d’un sursaut combatif : en direct à la télévision, il lance une pique, trois fois rien, l’amorce d’un coup. Rien qui ne blesse, mais le dévoilement d’une intention, et la délivrance d’un message : « Papa » n’est pas l’homme qu’il dit être. Sacha constitue désormais une menace, qu’il faut contenir. Aussitôt il regrette ses paroles. Il vient de mettre sa famille en danger. Commence alors pour lui, Mina et leur fille, Irène, la quête d’un refuge, d’un lieu, où se mettre à l’abri du pouvoir et de ses sbires, qui les mènera au Mont Athos, montagne du Nord de la Grèce, et haut lieu de la spiritualité du christianisme orthodoxe.

Christophe Ono-Dit-Biot se projette dans le futur, pour mieux happer le passé et tourner le dos au présent

Avec Trouver Refuge, Christophe Ono-Dit-Biot se projette dans le futur, pour mieux happer le passé et tourner le dos au présent. « Il veut sauver des trésors des flots, des gisements d’amphores, explorer des grottes peintes, descendre dans les couches du temps. Pour mieux fuir le sien », peut-on lire au sujet de Sacha. Roman d’anticipation, le texte a pour pilier l’Histoire et les histoires, les mythes et la religion, les récits chrétiens, grecs et hollywoodiens. La puissance de l’art, de la culture, de la fiction, tels que le dessin animé Adventure Time, ne constitue pas la solution aux problèmes du monde, mais des refuges en soi, qui peuvent être le ciment à partir duquel inventer le futur. Mais encore faut-il continuer à alimenter les légendes et croyances ! Ce que refuse justement « Papa », qui condamne l’art et la culture moderne, pour ne se soucier que de l’Histoire, non pas celle du monde, mais spécifiquement celle de la France. Dans Trouver Refuge, l’Histoire devient alors à la fois le salut de l’humanité, mais aussi son plus grand ennemi, tant il est facile pour les dirigeants d’enfermer le peuple dans celle-ci. Mina finira d’ailleurs par se demander si l’Histoire n’est pas un métaverse, tant elle absorbe le monde, rassemblant les hommes et les femmes, tout en créant des communautarismes et des trous noirs.

Ce contexte politique donné, le roman cherche à retrouver le chemin du sublime – l’antéchrist y prend l’incarnation du capitalisme, et plus généralement de tout ce qui nous éloigne du sublime. Sacha, qui ne croit pas en Dieu, mais qui aimerait bien, est en quête d’un bonheur vrai, qui passe par la transmission à sa fille, l’amour pour sa femme et la quête de nouvelles histoires. Trouver Refuge préfère l’emphase au minimalisme, se laisse dévorer par la beauté, les métaphores et les émotions, car c’est sa raison d’être – au-delà du style naturel de l’auteur, il y a ici une belle adéquation entre le ton du livre et son propos.

Bon ou néfaste, le refuge devient l’enjeu de nos sociétés

Tous les personnages s’avèrent complexes, plein de contradictions, gardien du temple familial un jour et soucieux de se réinventer le lendemain – Mina aurait voulu être noire, aurait voulu être lesbienne, aurait voulu sortir de sa carapace « d’occidentale fatiguée » –, ultra progressistes par moments et nostalgiques du passé l’instant d’après. Christophe Ono-Dit-Biot les accompagne à travers leurs souvenirs, leurs réflexions et leurs espoirs, avec bienveillance et compassion, mais sans la moindre compromission à l’égard des salauds. Sacha, Mina, les moines du Mont Athos, mais aussi les électeurs de « Papa », tous cherchent à trouver un refuge, dans un monde vaste et complexe, soit en vivant à l’écart de la société, soit en s’évadant par la fiction et la foi, soit en donnant sa voix à des politiques qui imposeront des règles, simplifieront pour donner un cadre. Bon ou néfaste, le refuge devient l’enjeu de nos sociétés, sous le joug de la crise écologique.

Trouver Refuge est un conte, avec sa morale. Contrairement aux textes religieux, qui, comme l’explicite l’auteur, se terminent toujours par l’acte de croire en Dieu, le roman lui se termine sur une croyance en l’humain et en l’amour. Empli de points de vue sur le monde, truffé d’idées, de références et d’histoires dans l’histoire, c’est un roman passionnant et riche, à la fois inquiétant et réconfortant, qui impressionne par sa densité et ses ambitions.