Avatar 2 de James Cameron : la double jubilation
Sortie le 14 décembre 2022. Durée : 3h12.
Après avoir été un élément modèle du système hollywoodien pendant les quinze premières années de sa carrière, faites de films éblouissants – Terminator 1 et 2, Aliens, Abyss, True Lies –, qui rentraient dans les cases attendues, celles des blockbusters monstres, dopés à la testostérone, parsemés de véhicules conduit par des stars, Arnold Schwarzenegger en tête, tous conformes au modèle de production industriel, et dont les sorties adoptaient un rythme de sorties régulier, et la prise en compte de la logique de franchise, James Cameron a radicalement changé de direction à partir de Titanic et du triomphe colossal qui a suivi. Il a fallu attendre douze ans avant son film suivant, Avatar, puis à nouveau treize ans avant la sortie aujourd’hui de sa suite, Avatar : la voie de l’eau. Durant ce quart de siècle, l’industrie du cinéma a connu une succession de bouleversements majeurs, dont Cameron a été un précurseur pour certains – notamment les images de synthèse avec Abyss et Terminator 2 – mais est resté totalement étranger à d’autres – les services de streaming, avec lesquels il n’a jamais collaboré. C’est ainsi que l’ermite, que tout le monde disait fou lorsqu’il s’attelait à la production de Titanic et qui réalise depuis ses films de son côté sans se soucier du reste du monde, revêt les habits d’homme providentiel. L’ambition constante de Cameron de révolutionner la manière de faire du cinéma, en la poussant toujours plus loin technologiquement, est vue aujourd’hui comme la solution pour « sauver » le cinéma contre le risque de sa banalisation du fait de l’explosion des modes de consommation des images, et de la quantité de contenus produits par Netflix et consort.
Avatar 2 arrive en effet sur les écrans précédé moins par le souvenir illustre du premier film – plus gros succès de l’histoire au box-office mondial, mais dont l’empreinte est reste modeste comparée à celle de Titanic et des sagas phares telles que Star Wars, Le Seigneur des anneaux ou encore les productions du Marvel Cinematic Universe – que par la prodigalité de ses promesses graphiques. La masse d’acronymes et formulations techniques potentiellement absconses lancées à tout-va – HFR, 3D (voire 4D), motion capture sous-marine… – laisse la place dès les premières minutes à un ressenti plus simple, mais tout aussi dithyrambique : on n’a, véritablement, jamais vu ça au cinéma. La combinaison de technologies variées déployée par Cameron aboutit à un ballet ininterrompu d’images inouïes et stupéfiantes, dans la jungle puis l’océan, agrémentés ici et là par les flammes, l’obscurité, la pluie. En toutes circonstances, la technique ébahit parce qu’elle est brillamment mise en scène, sublimée par le regard d’un artiste qui sait créer des plans, des mouvements, des montages esthétiquement accomplis. Le travail de cinéaste n’a objectivement plus rien à voir entre Titanic, où tout était « réel » sur le plateau de tournage, et Avatar 2 où rien de ce que l’on voit à l’écran n’existe dans la réalité. Pourtant, dans les deux cas, l’œil de Cameron trouve en permanence les solutions pour générer du grand spectacle ébouriffant et inédit, en particulier dans les séquences d’action aussi complexes sur le papier que limpides dans leur rendu. La profondeur de champ produite par la 3D est d’une incroyable finesse ; la faune, la flore et la texture de la jungle comme des fonds marins sont rendues tangibles par l’extraordinaire niveau de détail des images de synthèse ; les changements de nombre d’images par seconde permis par le HFR – déjà expérimenté par Peter Jackson ou Ang Lee – créent une impression de fluidité et de célérité jamais vue.
Ce qui fait d’Avatar 2 un grand film, au-delà d’être une grande expérience sensorielle, est la façon dont ses images s’accordent avec les mouvements de fond du récit. L’invention par James Cameron d’un nouveau cinéma coïncide avec deux autres choses portées par son film : d’une part l’effet de découverte d’un monde extraterrestre, dont la complète altérité vis-à-vis du nôtre est de fait pleinement rendue par l’apparition de ces visions sans égal ni précurseurs, de l’autre un renversement complet du western. Ce genre cinématographique né pour colporter une vision manichéenne de l’histoire – les gentils cowboys contre les méchants indiens – et qui a connu au fil des ans une remise en cause aussi profonde que progressive de ses fondements éthiques et politiques, dont Avatar 2 semble être le point d’arrivée. On n’a en effet jamais été autant avec les indiens et contre les cowboys dans une méga production hollywoodienne. Cameron ne fait pas de prisonniers, confer par exemple le plan, d’une violence soudaine ahurissante, d’un bras tranché plein cadre, tandis que son scénario a pour finalité de rejouer au cours de la dernière heure la bataille de Little Bighorn, un des plus grands fiascos de l’armée américaine qui y fut laminée par une coalition de tribus indiennes.
Avatar 2 produit ainsi une double jubilation chez le spectateur : la magnificence des images, et l’espoir d’une victoire contre un envahisseur destructeur de mondes et pilleur de ressources – le schéma d’ensemble du film est le même que dans le premier volet, et reproduit la conquête de l’Ouest américain : les Na’vi, peuple autochtone de la planète Pandora vivant en osmose avec leur écosystème, se défendent contre l’offensive humaine, menée dans le but de s’accaparer les ressources naturelles précieuses du lieu. Ces deux jubilations fonctionnent à des niveaux différents. La première est visuelle, « réelle », au sens où la beauté des images nous émeut réellement, et perpétue la magie hollywoodienne au premier degré. La deuxième est narrative, fictionnelle, car dans la vraie vie le rapport de force est très nettement en faveur des envahisseurs et non des autochtones, renversant ainsi les schémas hollywoodiens classiques. Le film cherche ouvertement à garder ce qu’il peut de l’ancien monde, tout en se projetant pleinement dans ce que le nouveau monde a de meilleur à offrir. Cette position de transfuge est incarnée par le personnage de Spider, qui tel James Cameron est à cheval entre les deux univers. Il est à la fois le rebelle qui sait être dans le vrai et l’impérialiste qui ne peut se résoudre à laisser mourir l’ancien monde – le dernier acte de Spider dans l’intrigue est une manifestation explicite de ce dernier point.
Spider est l’un des nouveaux personnages, tous très ambivalents, nés de la multiplication des croisements permise par la complexité de la structure du monde du film – qui n’est qu’une extrapolation du nôtre, rendu pareillement plus complexe par l’émergence du virtuel au côté du réel. En plus des Na’vi et des humains de souche, le scénario fait apparaître différentes sortes de métissages, issus de la biologie, de l’éducation, ou encore de la technologie. Spider a ainsi le corps d’un humain, l’âme d’un Na’vi car il a grandi auprès d’eux, et se découvre une figure paternelle au moins aussi complexe que lui – l’identité et les souvenirs de son père biologique ayant été transférés dans un corps de Na’vi lui servant de clone une fois son enveloppe charnelle humaine décédée. Ces nouveaux personnages apportent beaucoup à l’intérêt du film, le rendant bien plus riche dramatiquement et moralement que le premier – avec comme point culminant une confrontation shakespearienne intense entre les familles recomposées des deux antagonistes principaux, Jake et Quaritch. S’en suit un dernier acte qui voit Cameron rejouer Titanic, mais avec des Na’vi dans les rôles principaux, qu’il sauvera quasi tous. Preuve qu’il y a peu de chances que le cinéaste revienne un jour dans le camp des humains.