Nombreux sont ceux qui ont connu Noel Wessels au milieu des années 1990, époque où il sévissait dans l’underground scène hardcore et où ses sets endiablés ont atomisé des raves dans le monde entier. Le Hollandais est également la moitié de The Outside Agency, projet hardcore surfant parfois sur le gabber mais qui a eu l’intelligence de ne pas succomber à des sirènes trop régressives et trop “stade anal”. Ceci n’est pas une dédicace aux fans de Somatic Responses. En tant que DJ Hidden, il fait partie des rares à être parvenu à sortir la D&B d’une ornière kilométrique et galvaudée. Son récent et admirable dernier album, The Words Below (ici), fait partie définitivement des références du genre, même si certains jusqu’au-boutistes lui reprochent d’être trop propret dans son approche des sonorités et textures urbaines. Le premier long format de son projet Semiomime est attendu de longue date par les fans de ses précédents projets, mais pourrait bien ravir aussi un public qui n’avait jusqu’ici jamais entendu parler de lui. Qui d’autre que le label Ad Noiseam pouvait avoir légitimité à sortir un tel projet ? Lui qui n’a pas eu peur de publier des albums de musiques électroniques adultes, comme le subtilement anarchique mais définitivement émotionnel No Land Called Home de Subheim (ici).
Pour le commun des mortels, sortir la musique électronique des formats club est une gageure. Pourtant, des aigris coutumiers du genre et des autistes adeptes des micro scènes vont probablement reprocher à  From Memory une prétention totalement fictive. Car oui, cet album vient rompre avec toutes les conventions et les étiquettes. C’est un album de musiques électroniques certes, mais ce genre est bien trop étroit pour lui céder toute la place qu’il mérite. Ne soyons pas réducteur, From Memory est une oeuvre époustouflante.
Il faut prendre un métro souterrain pour plonger dans la mémoire de Semiomime. Et dès les premières minutes de Unveiled, une glorieuse révélation vient se soumettre à notre esprit. Noel Wessels aurait-il réalisé le disque de musicien dont nous le savions capable mais dont nous n’osions rêver ? Oui, et plus encore. Car From Memory est la bande originale d’un film muet qui n’existera sans doute jamais. Qu’il souligne des heures et des heures de travail titanesques en matière d’arrangements. Parce qu’il y a ici une approche de la composition et une manière d’envisager les orchestrations qu’on ne trouve la plupart du temps que dans les musiques classiques, modernes ou non. Volontairement, je n’énumérerais pas la somme impressionnante d’instruments naturels rencontrés ici. Je dirais juste qu’il y a du hautbois (Parade). Pas parce que ça a quelque chose d’exceptionnel en soi, mais parce qu’en moi réside encore des vestiges de l’enfant qui fut bercé en écoutant Pierre et le Loup. Vous l’aurez compris, au coeur de cette percée introspective, cinématographique et urbaine résident des compositions qu’on pourrait qualifier de classiques. Citons Parade (et ses crins balkaniques virevoltant), The Mole Children (où des notes de piano troublantes courent et s’agitent pour ne pas être absorbées par un blast ambient et industriel planqué au second plan) et le sublime, épique et indescriptible The Exquisites (conclu par des drums hip-hop du plus bel effet). Voici autant de titres, éclaboussant de classe et de maîtrise, que seul un mélomane ouvert sur la musique dans son ensemble peut concevoir. Mais Semiomime n’est pas à dissocier complètement de DJ Hidden. Car oui, From Memory est aussi un album de DJ. Parler ici de beatmaker serait même plus noble et plus approprié. Il ne renonce pas au saint breakbeat, celui qui cisèle comme un chirurgien les séquences mélodiques. Sur Stalactite, Gnosis, Transistor et Proceeder, on retrouve celui qui sait saillir et gifler vivement les courbes opulentes de splendides mélodies. Souvenons nous d’ailleurs de certains titres deThe Words Below, comme The Dreamer ou No Notice qui étaient peut-être déjà les esquisses réussies de ce nouveau projet pharaonique. Retenons aussi The Remembering, faux interlude au piano qui relève furtivement nos synapses hors de ces eaux sombres et troublées pour nous rappeler que ce disque est une invitation au souvenir. Créé de toutes pièces ou inconscient ? L’histoire emportera avec elle ses secrets et c’est sans doute mieux comme ça.
From Memory est une éclatante oeuvre sombre qui se révèle déjà comme une des réussites absolues de cette année. Il ne peut en être autrement. Elle mérite de fédérer des auditeurs qui nagent de près ou de loin dans la sphère des musiques électroniques. Précisons comme nous le faisons souvent que le shuffle est le Mal et que le mp3 est un format définitivement obsolète pour envisager de tels chefs d’oeuvre à leur juste valeur. Cordialement, bisous, même aux fans de Somatic Responses.
Note : 8,5/10