Dans la maison de mon père de Joseph O’Connor : au cœur du chœur.
Publié le 3 janvier 2024 aux éditions Rivages. Traduit par Carine Chichereau.
1943, Hugh O’Flaherty, prêtre irlandais rattaché au Vatican, lutte contre l’invasion nazie. À la tête d’un réseau de résistants hétéroclites, il organise des collectes de fonds secrètes destinées à assurer la survie et la fuite de condamnés à mort, Juifs, soldats alliés et opposants. Il leur trouve des logements, leur offre sa protection. Le soir de Noël 1943, Hugh O’Flaherty et les siens s’apprêtent à mener une mission d’envergure – un Rendimento –, alors que Paul Hauptmann, commandant de la Gestapo à Rome, mis en difficulté par les évasions de prisonniers, fait régner la terreur dans la ville.
Dans son nouveau roman, Joseph O’Connor propose une fiction historique sur la ligne de crête où les personnages réels côtoient les inventions littéraires, où la chronologie est modifiée, mais où les événements contés correspondent bien aux véritables actes de résistance. Le portrait qu’il dresse d’Hugh O’Flaherty est d’une justesse que seul un grand auteur peut atteindre, tandis que sa némésis, l’infâme Hauptmann est une création qui se substitue à Herbert Kappler, le SS-Obersturmbannführer, que le vrai Hugh O’Flaherty a combattu dans la réalité. L’effet provoqué est sidérant, faisant de Dans la maison de mon père un objet étrange, entre le documentaire fictionnel et la fiction ultra documentée. S’il faut bien considérer le livre comme une fiction – Joseph O’Connor s’en explique dans les avertissements à la fin du livre –, le roman ouvre énormément de pistes sur la manière de raconter l’histoire, en altérant celle-ci, sans jamais la trahir.
Le réel ne cesse de surgir. Rome et ses églises, les odeurs et les sons, le contexte politique : tout est décrit avec une minute d’orfèvre – seule l’horreur nazie est explicitée factuellement sans s’appesantir dessus, sans envelopper celle-ci de jolies phrases. Un réel qui se transforme en épopée quand Joseph O’Connor se focalise sur le chœur, nom de la coalition dirigée par Hugh O’Flaherty.
Ce « chœur » est le sujet du roman, mais aussi sa forme et son âme. Sa forme, parce qu’il s’agit toujours de valoriser le collectif, de mettre en avant, à travers toutes ses voix et toutes ses actions, les rouages de la résistance. Chaque voix est unique, retranscrite par différents moyens : incluse dans la narration principale, issue de lettres et courriers, ou en provenance d’entretiens (fictifs) donnés après la guerre. Le style d’écriture et le niveau de langue évoluent en fonction des personnages, permettant à Sir D’Arcy Osborne, l’ambassadeur britannique au Vatican, au colonel Sam Derry, à la contessa Giovanna Landini ou encore au garde du corps John May d’être criant de vérité. Dans la maison de mon père raconte l’alliance entre la bourgeoisie et les rebelles des bas-fonds, entre les croyants et ceux qui se méfient des dogmes, assemblage iconoclaste de personnes qui font front commun contre le nazisme. Un alliage puissant d’unicités.
Le « chœur » est également son âme, parce que, traité au sens musical du terme, il innerve le récit de ses chansons. Face à l’horreur de l’invasion allemande, Joseph O’Connor oppose l’art et la croyance, la gastronomie et le sport, tout ce qui dégorge de vie et de beauté, et s’avère à même d’expulser la haine nazie, en dehors du roman et donc en dehors de la vie.
Entre la quantité de travail qui soutient le récit, la manière dont ce dernier saisit la lumière dans l’obscurité, et la langue belle, précise et mutante déployée par Joseph O’Connor, Dans la maison de mon père est une réussite époustouflante, aux vertus historiques et épiques, portée par une traduction exceptionnelle de Carine Chichereau.