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La Maison du Diable de John Darnielle : le diable est entre les lignes

Publié le 4 octobre 2024 aux éditions Le Gospel, traduit par Janique Jouin de Laurens.

Par Benjamin Fogel, le 14-10-2024
Littérature et BD

Auteur de true crimes, Gage Chandler a connu le succès avec La Sorcière blanche de Morro Bay, une enquête sur Diana Crane, cette enseignante qui a massacré et découpé deux jeunes hommes, Jesse Jenkins et Gene Cupp, ayant pénétré dans son domicile pour des motifs inconnus. Ce récit est raconté du point de vie de la coupable, pour reconstituer son parcours et mieux comprendre son geste. Quelques années plus tard, l’éditeur de Gage Chandler lui suggère de partir à Milpitas, dans l’optique d’un nouveau projet, pour s’enquérir d’un double meurtre commis par des adolescents satanistes. Cela tombe bien, « La maison du Diable » où s’est déroulé les faits est en vente. Gage Chandler pourrait l’acheter et écrire en s’imprégnant des lieux…

La Maison du Diable est placé sur les rails de l’investigation criminelle, mais il s’agit d’une fausse piste

La Maison du Diable est ainsi placé sur les rails de l’investigation criminelle, à la lisière du fantastique et de l’univers de Shirley Jackson, lecteurs et lectrices plongeant peu à peu dans les abymes de la noirceur humaine. Mais il s’agit d’une fausse piste. Composé de différents documents, dont on ne sait s’ils sont des extraits du livre sur lequel travaille Gage Chandler ou la chronique de son véritable quotidien, le roman s’ouvre à d’autres points de vue et change de focale – avec même en son milieu un conte chevaleresque. La Maison du Diable ne cesse de déployer son récit à travers des filtres narratifs. Gage Chandler s’adresse successivement à Diana Crane, ou à Jana Jenkins, la mère de Jesse, qui pleure la mort de son fils. Il écrit à la première personne du singulier, mais en mettant en scène la deuxième personne du singulier. Chaque fois un nouveau regard est posé sur les événements.

Par cette construction en mille feuilles, La Maison du Diable se révèle être une plongée, non pas dans l’univers du crime, mais dans les souffrances adolescentes, les violences intra-familiales, et la déréliction de l’Amérique. Surtout, il s’agit avant tout d’une réflexion méta sur l’écriture, le rôle de la fiction et des romans, et les impacts de ces derniers sur le monde. Mystérieux et fascinant, La Maison du Diable s’inspire des techniques des pages turner pour questionner l’éthique de l’écrivain, et en filigrane proposer une étude sur les lieux qu’on habite et leur sacralisation.

Un objet indispensable de 2024

Après la publication du Loup dans le camion blanc aux éditions Calmann-Lévy, où un jeune homme défiguré et shooté aux analgésiques crée un jeu de rôle par correspondance, et d’Universal Harvester, non traduit en France, John Darnielle s’impose avec ce troisième roman comme l’un des plus précieux écrivains américains, à même d’englober dans un même geste pop culture horrifique, analyses sociétales et réflexions méta, tout en laissant in fine rentrer la lumière, et tourner ses pensées vers un avenir meilleur. Si l’on ajoute à cela que John Darnielle, avant d’être écrivain, est surtout le leader des Mountain Goats, groupe californien qui, depuis 1991, a publié une vingtaine d’albums comptant parmi ce qui se fait de mieux en rock lo-fi, on devine que cette Maison du Diable constitue un objet indispensable de 2024.

Gloires aux éditions Le Gospel, et à la traduction précise de Janique Jouin de Laurens, de permettre à ce roman incroyable de nous parvenir et de nous émerveiller.