L’image a fait le tour des réseaux : la photo d’un présentoir en librairie valorisant des romans dystopiques – ainsi que Le Journal d’Anne Franck et l’essai On Tyranny: Twenty Lessons from the Twentieth Century de Timothy Snyder –, accompagné de la mention : « Il s’agit d’avertissements, pas de manuels d’instruction », telle une extension du fameux « 1984 was not supposed to be an instruction manual » qui fleurit depuis deux décennies sur bon nombre de t-shirts. Au-delà de la formule, la phrase est factuellement juste tant les œuvres de science-fiction ont été visionnaires. Neuromancien de William Gibson (1984) a inventé le concept de cyberespace avant la création d’Internet ; Le Cycle de Fondation d’Isaac Asimov (1951-1993) préfigure l’apparition du Big Data et des analyses prédictives ; Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson (1992) a anticipé le métaverse de Meta. Quant à la généralisation des catastrophes climatiques et l’émergence des intelligences artificielles, elles font partie des piliers de la production des deux maîtres du genre, J. G. Ballard et Philip K. Dick.
La dystopie, un modèle à suivre pour les ultra-libéraux
Au-delà d’imaginer le futur, on peut se demander si les œuvres de science-fiction n’ont pas réellement contribué à son avènement. Les dystopies implicites, au lieu de servir strictement de repoussoir, auraient-elle pu fasciner une génération d’hommes technophiles, convaincus du bien-fondé du libéralisme ? L’imagerie cyberpunk et le paradigme voyant les États être supplantés par des multinationales – Tyrell Corporation et Wallace Corporation dans Blade Runner, les conglomérats dans Rollerball, OCP dans RoboCop, Megatech dans Ghost in the Shell ou encore Shinra dans Final Fantasy VII –, dont les PDG sont glorifiés, semblent avoir façonné la vision d’Elon Musk (Tesla, SpaceX) et Peter Thiel (PayPal), tandis que l’appel du transhumanisme a été entendu par Sam Altman (OpenAI).
La novlangue au cœur de 1984 de Georges Orwell et l’inversion des valeurs qu’elle engendre – « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force » – sont l’outil phare des autocraties, qui poussent le concept à son paroxysme. Dans l’Amérique de Trump, la liberté d’expression implique le droit de diffuser de fausses informations et de propager des discours de haine, mais censure les études scientifiques et les livres dans les écoles qui mentionnent des discriminations. Volodymyr Zelensky y devient un dictateur qui a attaqué la Russie.
À travers, cette fascination de l’extrême droite pour la science-fiction, certains appellent de leurs vœux la société de contrôle, au cœur de Minority Report (Steven Spielberg, 2002), où tous les crimes sont prédits. Ce goût pour les œuvres futuristes engendre des contresens terribles véhiculés par les masculinistes : dans Matrix (1999), prendre la pilule rouge signifierait selon eux révéler les mensonges proférés par le féminisme, alors que Lilly Wachowski, une des deux réalisatrices a confirmé dans une interview pour Netflix en 2020 que le film prônait l’inverse, à savoir une prise de conscience progressiste, notamment sur la question de la transidentité et des luttes LGBTQIA+. La transformation de Thomas Anderson, interprété par Keanu Reeves, en Neo lorsque ce dernier sort de la matrice ferait écho à la transition de genre – avec l’agent Smith, méchant du film, qui s’obstinerait à appeler Neo par son dead name.
Le film d’anticipation Idiocracy (Mike Judge, 2006), qui met en scène, sur un mode potache, l’abêtissement des États-Unis en 2505 – effondrement du système éducatif, détournement de la science, apologie de la paresse, de la junk food et de la prostitution, et une population persuadée que Charlie Chaplin était à la tête de l’Allemagne nazie – fait partie des films les plus cités par Elon Musk, qui le considère comme un quasi documentaire. Il y voit notamment une illustration de la manière dont le wokisme et la culture de la victimisation engendrent un système éducatif où les étudiants sont si choyés que le niveau intellectuel chute drastiquement. La cause du déclin dans Idiocracy vient du fait que les gens idiots se sont beaucoup plus reproduits que les gens intelligents. Pour contrer ce phénomène, Elon Musk défend une politique nataliste, et a lui-même 14 enfants. Pourtant dans Idiocraty, les personnages pourraient bel et bien justement être les descendants des plus fidèles soutiens de Musk.
La fiction génère le réel
Dans Retour vers le futur 2 (1989), Robert Zemeckis et Bob Gale imaginent un futur cauchemardesque où Biff Tannen, inspiré par Donald Trump, a fait main mise sur les États-Unis. L’homme est violent, amoral et misogyne. Il incarne la puissance d’une masculinité ivre de son pouvoir. Dès la première élection de Trump, en 2016, les images de Biff Tannen ont inondé les réseaux, tout comme celles de l’épisode « Bart to the future » des Simpson, diffusé en 2000, où Trump arrive à la Maison-Blanche. Que faut-il en déduire ? Que l’alerte prodiguée par Retour vers le futur 2 et Les Simpson, des œuvres vues par des millions de personnes, n’a pas été entendue ? Ou que le monde est devenu fou au point que la fiction ait rendu crédible une idée qui paraissait auparavant complètement grotesque ?
Il y a cette hypothèse qu’à partir du moment où les choses peuvent advenir, et que cet avènement est matérialisé par la fiction, elles finissent forcément par advenir, selon la logique du « pire est toujours certain ».
La fiction n’est ni bonne ni mauvaise, et dépend strictement de l’usage que l’on en fait. Les événements actuels constituent une douche froide pour le soft power culturel. Elon Musk a vu les mêmes films de super héros, regardé les mêmes séries, joué aux mêmes jeux vidéo que nous, mais en a tiré un message complètement différent : celui de fictions légitimes, où les super méchants existent et où les plus forts dominent. Si la scission entre ultrariches et ultrapauvres, qui est au cœur des œuvres de science-fiction, est destinée à advenir – dans une forme encore plus absolue qu’aujourd’hui –, alors les oligarques sont déjà en train de prendre leur place à l’avant du train de Snowpiercer (Bong Joon-ho, 2013), et de s’emparer des dernières réserves d’essence dans la saga Mad Max de George Miller. Pour peu que les rêves de conquêtes spatiales d’Elon Musk se concrétisent à travers SpaceX, la science-fiction n’a pas fini d’alimenter le réel.
L’art produit des histoires qui stimulent, poussent à la réflexion et provoquent une palette de sentiments. La marketing et la publicité ont repris ces mécanismes pour créer du storytelling autour des produits. Et aujourd’hui, c’est la politique qui joue la carte du narratif. Qui invente des histoires et produit des fake news. La réalité importe peu. La fiction a pris le pouvoir.
Donald Trump est lui-même devenu producteur de fictions. Une grande partie de ses propositions outrageuses semblent être des scénarios dont il teste l’appétence des citoyens et jauge le niveau d’acceptabilité. Un peu comme le font les plateformes, Netflix en tête, multipliant les projets, mais ne reconduisant pour une saison 2 que ceux ayant eu le succès escompté. Dans un monde où les pensées modérées ne font plus recette, et où il faut toujours provoquer pour gagner en visibilité, il n’est pas surprenant que le genre fictionnel préféré de Trump soit là encore la dystopie, comme on a pu le constater avec la diffusion de la vidéo ignoble « Trump Gaza », où Gaza est transformée en « Côte d’Azur », et qui montre des images en apparences paradisiaques, tout en laissant entrevoir sous le vernis le règne de l’argent, de la violence et du racisme.
La réalité est une mauvaise fiction
Ce nouveau monde s’inspire de la fiction, sans être à la hauteur de celle-ci. Donald Trump pourrait-il faire un bon méchant dans une fiction contemporaine ? La réponse est non. On le jugerait caricatural, sans humour, dénué de toute backstory intéressante, vide d’ambiguïté. Si l’on s’en tient au « plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film » d’Alfred Hitchcock, on peut dire que la réalité est ratée. Une analyse qui ne vaut pas avec Elon Musk, beaucoup plus ambigu et poursuivant des intérêts contraires. Musk se revendique comme l’une des personnes faisant le plus au monde pour enrayer le dérèglement climatique, via ses véhicules électriques, mais se déplace chaque jour en jet et défend des politiciens climato-sceptiques. Adepte des doubles discours, il mélange blagues, farces et déclarations violentes. Ses messages sur X regorgent de sous-textes et de clin d’œil à l’extrême d’œil, via des références à la pop culture.
Donald Trump et Elon Musk ressemblent à deux méchants des premiers James Bond, respectivement Auric Goldfinger, milliardaire obsédé par l’or, dans Goldfinger (Guy Hamilton, 1964) et Hugo Drax, un autre milliardaire, misanthrope et nazi, à la tête des Industries Drax qui produisent des navettes spatiales, dans Moonraker (Lewis Gilbert, 1979). Mais aussi à des méchants des comics Marvel et DC, tel que Lex Luthor. Sauf qu’en face, il n’y a aucun ultrariche pour nous sauver. Pas de Tony Stark ou de Bruce Wayne – même si, toujours ancré dans l’inversion des valeurs, Elon Musk s’imagine réellement en Iron Man.
Dans une interview accordée au Telegraph, Neal Purvis et Robert Wade, scénaristes des derniers James Bond, disent d’ailleurs : « Avec des gens comme Donald Trump, le méchant Bond est devenu une réalité. Donc quand ils vont en faire un autre, il sera intéressant de voir comment ils vont gérer le fait que le monde est devenu une fiction. »
Le paradoxe de la fiction
La fiction a beau avoir été visionnaire et contribué, contre sa volonté, à la détérioration du monde, elle a, de manière paradoxale, souvent été en incapacité de décrire le futur. Parfois parce que les évolutions technologiques étaient inimaginables – confer l’absence de téléphones portables dans 2001 : L’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) ou l’idée du stockage de données dans le cerveau humain plutôt que dans le cloud dans Johnny Mnemonic (Robert Longo, 1995).
Big Brother dans 1984 s’avère être un prototype comparé à la puissance de captation des données des systèmes d’information modernes. Dans La Zone du Dedans, Alain Damasio explique comment il s’est trompé dans la conception de la société de contrôle au cœur de La Zone du Dehors (1997). Effectivement, il lui était alors impossible de deviner que chaque citoyen deviendrait un agent propre des mécanismes de surveillance via les réseaux sociaux.
Les œuvres d’anticipation ne prennent pas systématiquement en compte le dérèglement climatique, les changements sociétaux ou les impacts du Big data. Au mieux peuvent-elles s’intéresser à un pan ou l’autre des évolutions. Mais elles restent impuissantes face aux transformations chaotiques de structures affectés par des évènements imprévisibles, comme le démontre le statisticien Nassim Nicholas Taleb dans son essai Le Cygne noir (Les Belles Lettres, 2021).
Les dystopies d’hier sont les utopies d’aujourd’hui
Face à cette incapacité d’anticiper la folie du monde, la science-fiction se tourne naturellement vers l’imagination de futurs possibles, de mondes où la catastrophe a été évitée, ou de mondes qui survivent après la catastrophe. Il en découle un phénomène étrange : certaines dystopies apparaissent acceptables, voire enviables, en comparaison de l’avenir réel qui nous est promis. Une œuvre qui se déroule en partie sur Terre, dans un futur lointain, et dans laquelle la civilisation humaine perdure, ressemble, malgré les menaces qui y règnent, à une utopie, comme c’est le cas avec la saga The Expanse de James S. A. Corey, le film Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol (1997) ou la série Westworld de Jonathan Nolan and Lisa Joy (2016-2022).
Les sociétés décrites dans les romans phares de l’anticipation, notamment Nous autres d’Evgueni Zamiatine (1920) et Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1931), aussi atroces soient-elles, deviennent optimistes en comparaison de l’abêtissement et de la fascisation du monde. Celles-ci imaginent des sociétés où l’humanité est privée de ses libertés pour son propre bien. L’ordre et le contrôle y sont motivés par le désir d’offrir une existence sereine et aseptisée, délestée de tout débordement et de risque de bascule. L’objectif des régimes est de garantir un bonheur rationnel et parfait, quitte à détruire les individualités et les émotions. Nulle trace pourtant de discours sur le bonheur au sein de l’ultra-libéralisme qui ronge le monde. Les dystopies à venir n’ont pas besoin de justification et ne s’intéressent pas au sort des masses. Elles sont strictement guidées par la jouissance et la quête de pouvoir de quelques individus.
Même Le Déluge de Stephen Markley (2024), roman somme qui synthétise les impacts à venir du dérèglement climatique aux États-Unis, et met en scène l’incapacité des systèmes à lutter contre – à cause des lobbys, des fake news et des intérêts individuels – semble quelques mois après sa sortie, optimiste, tant il est loin d’avoir imaginé une Amérique, qui tournerait le dos à ses alliés historiques, et menacerait le Groenland et le Canada.
Dans Le Tout (2025), Dave Eggers conçoit une Amérique où l’équivalent de Facebook aurait racheté un clone d’Amazon pour créer un monopole, à même de contrôler, surveiller et aiguiller les gens, en les poussant à s’auto-optimiser pour être de meilleures personnes et diminuer leur empreinte carbone. L’objectivité des IA y prime sur la subjectivité humaine, le choix y est un ennemi, la liberté disparaît pour protéger les citoyens de leurs propres comportements honteux, toxiques ou néfastes pour la société. Tous les marqueurs de la dystopie sont là. Et pourtant, les personnages principaux, désireux de détruire la multinationale, finissent par concéder que celle-ci est bel et bien l’unique moyen d’empêcher l’apocalypse climatique. Sous les yeux du lecteur, le livre bascule de la dystopie à un futur potentiellement enviable.
Seule la satire peut égaler la réalité
Il ne faut pas considérer l’incapacité des œuvres à saisir le futur comme un échec. Elles évitent souvent de décrire la réalité de celui-ci par choix. Car l’intensité narrative se loge dans l’ambiguïté, dans les zones de tension. La fiction a besoin d’humaniser les antagonistes, de comprendre les motivations, de laisser percer l’espoir. Elle ne peut pas couper les ponts avec le sens commun, et se vautrer dans le mensonge et l’absurdité. Elle est condamnée à être meilleure que le réel.
En 2024, si une œuvre de fiction avait anticipé qu’une des figures américaines de la tech, devenue bras droit du nouveau président, ferait un salut nazi, sourire aux lèvres, elle aurait été qualifiée de grotesque, de parodique ou de simpliste.
Dans ces conditions, seules les œuvres qui poussent les curseurs au maximum, avec l’objectif de moquer tous les aspects ridicules et pathétiques des sociétés contemporaines peuvent espérer anticiper réellement les basculements du monde. D’où cette impression persistante que le présent ressemble de plus en plus à un épisode de South Park. La série de Trey Parker et Matt Stone a tout prédit, de l’opposition entre anti-wokistes et progressistes à la faillite morale du gouvernement américain. Et encore, l’année dernière, les créateurs de la série ont annoncé une année blanche, tant ils ne se sentaient plus en mesure de parodier Donald Trump, ce dernier étant une parodie en soi. Dès 2016, au moment de la première élection de Trump, Trey Parker disait dans l’émission australienne 7.30 d’ABC : « C’est vraiment délicat maintenant, parce que la satire est devenue réalité. »
Dans Libération, Ariel Vromen et Solo Avital, les créateurs de « Trump Gaza », pro-républicains, expliquent avoir à l’origine souhaité proposer une stricte satire des propos mégalomaniaques de Trump relatifs à Gaza. Une satire qui s’est rapidement transformée, sans condamnation de la part des deux réalisateurs, en une illustration concrète des ambitions du président américain. En quelques clics, une satire est devenue l’incarnation réelle d’un projet surréaliste.
Parce qu’il s’agit simultanément d’une œuvre de science-fiction et de satire, Starship Troopers de Paul Verhoeven (1997) fait partie des films qui auront le mieux anticipé le futur. À travers sa société globalisée, soudée dans la lutte contre un ennemi extraterrestre, les Arachnides, le film présente un techno-gouvernement totalitaire : glorification de la force brute, présentée comme le seul argument ayant réussi, au cours de l’histoire, à régler des conflits ; propagande audiovisuelle ; esthétique nazie assumée… Starship Troopers illustre « la capacité de survie et d’adaptation d’un fascisme s’emparant d’idéaux purement humanistes comme l’égalité des sexes, ou de conquêtes purement démocratiques comme le droit de vote, pour les vider de leur sens et les condamner elles aussi au pourrissement », comme l’écrit Marc-Gil Depotisse dans l’article « De Starship Troopers à Elon Musk : avènement de l’idiotie techno-fasciste » (Blast, 2025). Le vote y est une mascarade puisqu’il n’y a aucune opposition crédible pour laquelle voter. L’égalité homme / femme offre strictement aux femmes le droit de mourir, au même titre que les hommes, sur le champ de bataille. Tandis que l’éducation y sert justement à enseigner l’échec des démocraties. Une désagrégation du sens des concepts qui rappelle à nouveau comment le couple Trump / Musk pervertit la notion de liberté d’expression. Dans le futur imaginé par Paul Verhoeven, tout est grossier et pourtant tout fonctionne. Ce n’est pas tant que les citoyens n’ont pas le droit d’exprimer une critique, mais que l’esprit critique a totalement disparu. Starship Troopers illustre combien il est impossible de dénoncer les dystopies fascistes sans en rire, tant celles-ci sont dominées par la bêtise.
La dystopie, c’est notre histoire
La dystopie n’est pas strictement une histoire d’anticipation. Elle est avant tout une histoire du réel, bien que sa définition l’associe exclusivement à des récits fictionnels. Le monde a déjà vécu celle-ci à travers l’Allemagne nazi, le stalinisme, La Révolution culturelle en Chine, les Khmers rouges, L’Apartheid en Afrique du Sud… Ce n’est pas un hasard si l’on trouve Le Journal d’Anne Franck sur le présentoir en librairie affichant des romans dystopiques. Le Monde d’hier de Stefan Zweig (1943) à Si c’est un homme de Primo Levi (1947) parlent bien de sociétés perçues comme idéales – l’Europe d’entre les deux guerres –, qui ont viré au cauchemar.
Si les dystopies fictionnelles mettent souvent en scène l’oppression exercée par les puissants sur les classes populaires et moyennes, les dystopies du réel ont pour premier moteur la haine de l’autre : haine des Juifs, haine des Noirs, haine des élites… C’est peut-être pour cela que La Servante écarlate de Margaret Atwood (1985), fondée sur la haine des femmes et leur exploitation, constitue l’une des anticipations les plus glaçantes. Crise environnementale, baisse de la natalité, culte religieux, catégorisation sociale forcée, asservissement, privation d’identités, désinformation, suppression des opposants : la manière dont la République de Gilead remplace les États-Unis nous apparaît de moins en moins comme fantasque. Et ce d’autant plus avec la série de Bruce Miller, tirée du livre, qui accentue le thème des relations internationales, explorant le conflit avec le Canada, les échanges diplomatiques entre les deux pays, ainsi que le risque de voir l’idéologie de la République de Gilead contaminer d’autres nations. Des questionnements qui font écho aux relations actuelles entre les États-Unis et le Canada, et aux craintes d’une extension du technofascisme.
Le but de Margaret Atwood avec La Servante écarlate était d’écrire une dystopie qui ne s’appuierait que sur des éléments s’étant déjà produits au cours du monde. Et c’est peut-être là que se trouve l’avenir de l’anticipation : restructurer le réel, dans ses aspects les plus absurdes et violents, pour nous rappeler que si de nombreux futurs sont possibles, certains comportent encore des failles inexplorées, qu’il nous faut coûte que coûte enjamber.