LE VOLEUR DE LUMIÈRE de Aktan Arym Kubat
Sortie le 2 mars 2011 - durée : 01h16 min
Quelque part entre le Tadjikistan et le Kazakhstan se dresse le Kirghizstan, république d’Asie centrale née de l’éclatement de l’URSS en 1991. 5 millions d’habitants et un réalisateur majeur, Aktan Arym Kubat (également connu sous le nom de Aktan Abdykalikov), auteur de la trilogie composée de La balançoire, Le fils adoptif et Le singe. Autant dire qu’on ne voit pas tous les jours des films kirghizes sur les écrans français. Le voleur de lumière a de quoi le faire regretter : le film d’AAK est en effet une très jolie fable doublée d’un traité de socio-politique aussi accessible que prenant. Le voleur de lumière du titre, surnommé “Monsieur Lumière” par ses concitoyens, est un vieux type qui prend tous les risques pour trafiquer compteurs et poteaux électriques afin de fournir à son voisinage de l’énergie gratuite et donc un peu de liberté. Sa force de séduction, le film la doit avant tout à son personnage principal, dont l’héroïsme va de pair avec une sympathie de tous les instants. C’est un homme bon, souriant, dont l’intégrité fait plaisir à voir. Pour autant, ce Voleur de lumièren’a rien d’un film candide, l’optimisme de son héros finissant par être noyé dans la triste condition de son pays.
Passe-droits, corruption, intimidations : le Kirghizstan n’est pas exactement le pays de Candy, et les activités illégales et dangereuses de Monsieur Lumière constituent une forme de réponse à ce système gangréné et immobile. Aktan Arym Kubat dresse une sorte d’apologie de la débrouille, de petit traité de résistance sans prétention. Sans oublier d’aborder les limites de telles pratiques, notamment la promiscuité permanente de la mort (les décharges électriques, ça pique) et le risque de se faire gauler par les puissants, autorités ou promoteurs, unis contre ce justicier du quotidien. Le voleur de lumière revisite en fait le mythe de David et Goliath, à ceci près que ce combat des faibles contre les forts verse peu à peu dans un pessimisme épais. Comme si le système D et les rafistolages quotidiens ne pouvaient durer qu’un temps, condamnés à finir écrasés par le grand capital.
La portée du film est cependant assez réduite, essentiellement parce qu’il arrive après d’autres oeuvres issues de cette partie du monde. Des bijoux comme Urga de Nikita Mikhalkov ou le récent Tulpan faisaient déjà état de ce grand écart permanent entre l’envie de perpétuer des traditions et un désir (un besoin ?) de se tourner enfin vers la modernité du monde contemporain. Ce propos déjà vu, le cinéaste s’en acquitte fort heureusement de manière symbolique, en opposant le monde formaté des pylônes électriques à celui plus naturel des éoliennes. Deux installations qui permettent, pour peu qu’on s’y perche, de voir le monde de plus haut et de plus loin, d’avoir suffisamment de distance pour mieux apprécier les choses à leur juste valeur. De la distance, Aktan Arym Kubat en manque certainement un peu, comme s’il était impossible dans les pays en -stan de traiter d’autres sujets, d’explorer d’autres contrées, d’évoluer ailleurs que dans cet esprit à la fois pittoresque et grave, comme des Kusturica sous Prozac. On sent chez le réalisateur une volonté de faire les choses autrement, de magnifier son récit par une photo splendide ou d’intercaler quelques miettes de bizarrerie (plans quasiment lynchiens sur des ânes courant au ralenti) dans cet univers si éloigné de nous et que l’on commence pourtant à connaître un peu trop par coeur.
Note : 6/10