Lorsque je l’ai revu, plusieurs détails m’ont immédiatement choqués. En premier lieu, il y a avait bien sûr la présence de cet autre homme, John, un adversaire dont je pensais m’être débarrassé mais qui ne cessait depuis des années de roder auprès de la belle. Deuxièmement, il y avait ce manque de cohérence, comme si, prise dans le tourbillon de la crise de la quarantaine, PJ Harvey avait décidé de faire une synthèse de sa vie, de son apparence, de son essence. Il en résultait quelque chose de bâtard, de non spontané, alors que la spontanéité avait toujours été le plus grand de ses charmes. On avait l’impression qu’elle mentait, qu’elle cachait sous des artifices aussi grotesques que du maquillage bon marché un certain manque d’inspiration, un manque de concept, de ligne directrice. C’est ça il n’y avait plus de lignes directrices, que des lignes fuyantes, qui courraient le long de son visage et qui la vieillissaient. Troisièmement, il était tellement implicite qu’elle voulait à la fois retrouver sa jeunesse, sa vitalité, sa rugosité (« Pig Will Not ») tout en déployant les artifices de l’expérience – l’expérience d’une grande dame qui aurait vieillit mais qui se prendrait toujours pour une princesse capable de côtoyer vocalement Bjork (« Passionless/Pointless ») – qu’elle se retrouvait à jouer sur deux tableaux, dans une position brinquebalante, triste et perdue.
Puis après quelques écoutes, je m’en suis voulu. Allongé sur mon lit, dans l’obscurité, je la regardais dormir. Sa voix tentait de couvrir mon acouphène et je l’ai trouvé belle comme jamais. Cette beauté des femmes qui se révèle la nuit a beau être niaise, elle n’en est pas moins fondée : la nuit la voix de Polly m’a envoûté comme d’antan. A partir de là, je l’ai redécouverte. Comme un homme qui observe en cachette sa femme alors qu’elle se démaquille devant le miroir de la salle de bain, et qui dans un éclair sentimental se souvient pourquoi il l’aime et combien leurs 30 ans de mariage ont du sens, je me suis souvenu pourquoi j’aimais Polly. Oui je m’en suis voulu, je m’en suis voulu d’avoir douté d’elle.
Soudainement sous les hurlements et la vulgarité du texte de « A Woman a Man Walked By/The Crow Knows Where All the Little Children Go », je me suis laissé foudroyer par le piano et la rythmique jazzy. Ce qui m’avait paru auparavant facile et calculé me paraissait maintenant novateur, ambitieux et magique. Puis son rock post grunge à fleur de peau a effacé ses rides (« Black Hearted Love »), sa culture américaine a aiguisé son songwriting (« Sixteen, Fifteen, Fourteen ») et elle m’a prouvé que les années passants elle était restée plus jeune que toutes ces pseudos folkeuses qu’on voit trop souvent en première partie de bon nombre de groupes, à la Cigale ou à l’Alhambra (« Leaving California »).
Quand elle se réveillera, je ferais comme si de rien n’était, comme si je n’avais jamais douté. Je discuterais de longues heures avec elle de l’intensité de « The Chair ». Puis après l’avoir encensé, j’essaierai de la piéger, de lui trouver des imperfections, des moments de faiblesses (« The Soldiers »), j’essaierai de la rabaisser pour donner l’illusion que notre histoire n’est pas déséquilibrée, que nous jouons bien dans la même cour. Mais au fond de moi, je saurais, je saurais qu’elle fait maintenant partie des intouchables et que jamais plus elle ne redescendra de son piédestal.
Note : 8,5/10