C’est l’histoire d’un type qui tiraillé entre deux passions n’aura de cesse que d’essayer de les faire cohabiter, l’un de ces parcours insolubles où lorsqu’on choisit une direction, on a de cesse de culpabiliser d’avoir laissé de côté l’autre chemin. De la même manière qu’on rabâche avec lourdeur à chaque nouvel album de Caribou que Daniel Victor Snaith fut auparavant docteur en mathématiques, il faudra probablement un certain temps avant que l’on n’arrête de rappeler que Samy Thiebault a quitté à 23 ans ses études de philosophie pour se tourner vers le jazz. La différence entre le premier et le second ? Le second fait tout pour que justement nous n’oubliions pas. 10 ans plus tard, il en est toujours là, à vouloir faire cohabiter le passé dans son présent, à vouloir que chacune de ses expériences passées ait concouru au résultat actuelle. Oui on sent chez le jeune français ce besoin de faire de chaque œuvre (de chaque acte ?) une pierre qui vient compléter l’édifice sans jamais remettre celui-ci en cause où ne serait-ce s’en écarter. Il y a une conviction touchante dans cette volonté de faire toujours se rejoindre les routes.
« Upanishad Experiences » fait donc suite à « Gaya Scienza », son deuxième album fortement marqué par la présence de ses mentors, les frères Belmondo, et porte une fois de plus en lui le lien philosophique. Alors que le « Gai Savoir » de Nietzsche donnait son nom au précédent, il confère ses textes au nouveau, des textes récités par un Jackie Berroyer impliqué, des textes qui rythment l’album et soulignent la profondeur du champ du saxophone. Si Samy Thiebault est toujours coltranien dans le cœur (à ce stade là, le nier reviendrait à tuer le père), il n’en reste pas moins aventurier dans les enrobages.
Depuis que je suis fatigué de chercher, j’ai appris à trouver ? Depuis qu’un vent s’est opposé à moi, je navigue avec tous les vents.
Le Selmer Mark VI chuchote, caresse et crie et on ne tarde pas à trouver dans ce « Upanishad Experiences » un sentiment de bien être qui rappelle les deux autres grands disques de jazz de l’année, le Christian Scott et le Kirk Knuffke. Le jeu, à la fois moderne et pourtant empli d’un charme surannée, de Samuel Hubert est rond et généreux dessinant dès l’introduction de « L’Albatros » un lieu dans lequel le dialogue entre le piano et les cuivres pourra se construire et prendre vie. Donner la chance aux rencontres, il ne s’agit que de cela ici. Puis vient le très cinématographique « Puis la nuit » et sa variation raffinée rappelant le thème de Harry Potter et encore une fois ce saxophone langoureux sans jamais être bavard qui conte des histoires toutes plus réconfortantes que les autres.
Les extraits du Préambule au « Gai Savoir » s’enchevêtrent alors avec ceux des « Fleurs du Mal » de Baudelaire, car qui mieux que la poésie peut venir consolider le triangle dont le premier côté a été tracer par le jazz et la philosophie ? En cherchant l’isocèle, un tel projet pourrait alors paraitre d’une rare prétention intellectuelle et il serait alors aisé de porter un jugement sévère sur ce qui manque parfois un peu justement de cohésion intellectuelle, mais « Upanishad Experiences » est au contraire une œuvre humble, presque discrète où Samy Thiebault semble s’excuser d’avoir essayé et où il nous rappelle combien il ne s’agit que de modestes “expériences” : correspondances sonores de sentiments et de sensations entre le rythme des mots et le sens des sons…
Oui ! Mon bonheur veut rendre heureux ! Tout bonheur veut rendre heureux ! Voulez-vous cueillir mes roses ?
Note : 8/10
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