Fer de lance de la nouvelle vague du cinema japonais, Kiyoshi Kurosawa, au côté de Takeshi Kitano, de Takashi Miike et de Shynia Tsukamoto, est comme ses trois compères un réalisateur difficile à cerner tant il peut donner aussi bien dans le très sérieux à la réalisation soignée (comme c’est le cas ici) que dans le film métaphysique obscure et fantastique (« Charisma »). Qu’ils soient policier (« Cure »), fantastique (« Kairo ») ou encore psychologique (« Licence to live »), il y a dans tous les films de Kurosawa une sorte de mystère pesant amplifié par le minimalisme des dialogues des personnages et également par les réactions souvent étranges de ces derniers.
Tokyo Sonata fait clairement partie des projets les moins bigarés de Kiyoshi Kurosawa. Racontant l’explosion d’une famille japonaise sous le poids de la société, le réalisateur japonais donne dans un cinéma sensible, qui prend son temps et qui privilégie les jolis plans au détriment d’un rythme soutenu. La réalisation colle à l’évolution de la structure familiale, il s’agit surtout d’une réalisation fondée sur l’attente, le temps qui passe et qui désagrège peu à peu les fondements sociaux. Les personnages font la queue : à la ANPE, pour avoir de la soupe, pour s’inscrire à l’armée, puis se retrouvent passifs autour du dîner seul moment de communion familiale. Puis tout d’un coup tout explose, et tout le monde se met à courir dans tous les sens. Il suffit que la mère, pilier centrale de la famille, s’évapore pour que les personnages se trouvent désorientés. En ça, le cambrioleur, interprété par Koji Yakusho, l’acteur fétiche de Kurosawa qui joue dans tous ses films, est un facteur déclenchant. Dès son arrivé le ton change, l’humour apparaît (scène de dialogue très réussie dans la voiture) et la folie s’empare des personnages, chacun courant après on ne sait quoi. Et ce n’est que quand ils auront compris que la course ne mène nulle part que la famille pourra se recomposer.
Malgré les apparences, Tokyo Sonata n’est pas un film social et encore moins un film politique qui dénoncerait la pression tokyoïde. Non il s’agit plus d’une jolie peinture, d’un portrait empli de culture japonaise, une sorte de version poétique du trash et décadent « Visitor Q » de Takashi Miike. La comparaison entre les deux films étant particulièrement intéressante car dans les deux cas, c’est un personnage extérieur à la structure familiale, un personnage qui n’a rien à faire là qui sera à l’origine de la reconstruction.
Un très joli film, riche en thématiques, qui rassure sur la capacité de Kurosawa à canaliser son énergie et à livrer des films plus conventionnels sans renier sa touche si particulière.
Note : 8/10
PS : Une belle conclusion de Vincent sur Le Cahier Critique au sujet de la fin du film : “Les plans sont identiques mais les personnages sont littéralement abîmés ; abimés par la vie ; abîmés par ce qu’engendre la logique capitaliste ; abîmés par la violence de la société moderne.”