Sous les nuages lourds d’un ciel trop parisien, le Lutetia est gris désespoir.
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De Blob est en promo pour « De Blob 2 ». Le jeu d’action dont il est le personnage central : une boule colorée doit sauver un monde condamné au grisâtre.
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Je suis accueilli par une pimpante attachée de presse dont le taux de stress est visible à l’oeil nu. Sa robe Zadig & Voltaire noire est tachée de peinture. Une trainée orange sur la hanche gauche, du bleu aux manches, du vert partout. En me saluant, elle semble s’excuser en silence, un sourire automatique tente d’illuminer son beau visage tout lisse puis elle m’invite à la suivre vers la suite réservée pour les interviews. Dans son dos, je note deux belles trainées rouge vif. Elle sent le Chanel n°5 et le Ripolin.
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Au centre de la pièce, enfoncé dans un cossu fauteuil, le Blob, sorte de masse informe, sirote une épaisse mixture bleue. Il est de moins en moins rouge et de plus en plus violet. Sur les tapis ancestraux du prestigieux hotel, la peinture s’est étalée en larges tâches indélébiles, couleurs primaires. Il pose son verre, laisse une tâche violette sur la table basse et me serre la main. Du violet partout.
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Par la porte fenêtre, le Bon Marché a des airs de bunker dévasté et les passants passent en noir et blanc.
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PLAYLIST SOCIETY : De Blob, on ne vous connaît encore que peu, comment vous définiriez vous ?
DE BLOB : A la base, je suis une boule, hein. Une sphère si vous voulez. Ni plus ni moins. J’oublie pas d’où je viens. Je veux dire : j’aurais pu faire carrière comme planète dans Super Mario Galaxy. La sphère dont tout le monde se fout, vous voyez. J’ai eu la chance d’être repéré pour jouer dans De Blob, il y a 3 ans. THQ avait besoin d’une sphère capable d’incarner un personnage sympa. J’ai passé le casting et ils ont tout de suite accroché. Le jeu est sorti sur Wii, on a eu des bonnes critiques. J’en revenais pas. C’était inespéré.
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PLAYLIST SOCIETY : Vous doutiez ?
DE BLOB : Ha oui ! On était une nouvelle licence. Sur le marché des jeux vidéo, c’est un pari risqué. Personne ne me connaissait. Regardez-moi : je suis pas Lara Croft. (il rit en en faisant émerger deux seins parfaits de sa masse informe) Mais les équipes de Blue Tongue (le développeur du jeu, NDPS) ont fait un boulot épatant. Le jeu était fun et ils avaient réussi a inventer tout un monde cohérent autour du principe de base. C’est ça qui a marché, je suppose ! (il exprime son enthousiasme en faisant gicler un geyser bleu soutenu. Le plafond de la suite en est instantanément repeint.)
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PLAYLIST SOCIETY : Justement, pouvez-vous expliquer le principe de la série à nos lecteurs ?
DE BLOB : Je joue une boule qui doit sauver le monde. Au départ, il y a un monde paradisiaque, très coloré. Mais le Comrade Black, le méchant de l’histoire, s’est mis en tête d’éradiquer la couleur. Il a tout passé en gris, noir et blanc, et les habitants sont désespérés. La résistance s’organise. Une sorte de guerilla pour repeindre le monde au coup par coup. Ils font appel à moi parce que j’ai le pouvoir de colorer tout ce que je touche. Je touche un bâtiment et hop, il prend ma couleur. Comme ceci (il tapote la table basse, qui prend un joli bleu Schtroumpf).
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PLAYLIST SOCIETY : On devine une belle charge allégorique contre l’uniformisation de nos sociétés…
DE BLOB : (il réfléchit)… Ouais, enfin on devine surtout que les développeurs avaient eu cette idée de boule qui peut peindre des trucs. Ca leur faisait un gameplay rigolo, puisque le joueur pouvait colorer tout le décor, mais il leur fallait une histoire pour que ça tienne la route. (il rit). Vous savez, tout ça part d’une idée de jeu très simple, hein. Après, on a bien bossé, c’est sûr.
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PLAYLIST SOCIETY : A vous écouter, on peut jouer à De Blob 2 simplement pour le fun. C’est un jeu d’action / plateforme réussi, certes, mais vous pensez que c’est suffisant ?
DE BLOB : Vous pouvez jouer en sautant dans le décors pour redonner de la couleur partout. Les enfants adorent ça. Le jeu est très bien reçu par la critique, il est agréable à manier. Et puis on a créé un univers très dessin animé. Ça plait à tout le monde. Oui oui, on peut jouer sans réfléchir, évidemment. Mais … (il fait une pause, jette un oeil sur les toits de Paris et reste songeur un instant). Mais il y a un sous-texte, c’est sûr…
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PLAYLIST SOCIETY : De Blob 2 m’a évoqué la démarche des Studios Pixar : toucher tous les publics avec un très bon divertissement pour faire passer des idées en sous-texte, justement.
DE BLOB : C’est gentil (il rougit entièrement). Je ne sais pas si c’était l’ambition de départ, mais on a travaillé dur pour retrouver cet esprit là, c’est vrai. On aurait pu créer un jeu amusant mais on a peut être voulu aller un peu plus loin. Dire des choses au passage. C’est ce que font les Studios Pixar. Il y a tellement de niveaux de lecture dans leurs oeuvres. C’est une belle référence.
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PLAYLIST SOCIETY : Le passage aux consoles HD donne un cachet visuel inédit à la série. Vous vous rapprochez du cinéma d’animation. Notamment dans les scènes intermédiaires.
DE BLOB : Oui. On est très contents de sortir sur consoles HD. Je me trouve joli en HD ! Et c’est vrai que la frontière avec le cinéma d’animation se fait plus tenue lorsqu’on ne voit plus les pixels. On rentre plus dans l’histoire, tout est plus crédible quand les pixels disparaissent. Même si on est tous des drôles de bonhommes en 3D, après tout !
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PLAYLIST SOCIETY : Le personnage de Papa Blanc fait froid dans le dos…
DE BLOB : Ha Papa Blanc… C’est une sorte de prédicateur. Il est persuadé qu’une société sans couleurs est un idéal. Alors il lave littéralement les cerveaux des habitants, qui perdent leurs couleurs d’origine et le suivent aveuglement. C’est assez flippant oui, mais après tout, c’est ce que vous faites souvent, vous les humains : suivre des leaders sans réfléchir… Hahaha. Pas vrai ?
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PLAYLIST SOCIETY : Si. C’est même pour ça que ce personnage est terrifiant !
DE BLOB : Papa Blanc, c’est l’une des incarnations de la normalité, le Camarade Black en est un autre. Dans tous les cas, ce sont des personnages qui souhaitent aplanir, gommer les différences. Les couleurs quoi. Ce que dit le jeu, c’est qu’il n’y a rien de pire pour une société. C’est un message simple, en fait !
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PLAYLIST SOCIETY : C’est à peu de choses près, le point de vue de Brazil, le film de Terry Gilliams.
DE BLOB : Haha. C’est juste. Je ne sais pas si les développeurs avaient cette référence en tête. C’est un chef d’oeuvre auquel je n’oserais pas comparer De Blob 2. Mais il y a aussi une grande différence avec le cinéma : là c’est VOUS qui me dirigez. C’est vous qui agissez, pas moi. Vous prenez le contrôle.
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PLAYLIST SOCIETY : C’est une nuance importante ?
DE BLOB : C’est l’idéal pour vous faire comprendre un point de vue. Si je vous dis “Je vais te faire la morale pendant des heures, te démontrer que tu ne réfléchis pas assez, et t’expliquer que ta vie c’est de la merde.”, vous partez en courant. Alors que si je vous mets une manette dans les mains en vous disant “Eclate-toi, c’est un jeu rigolo.”, vous allez peut être apprendre quelque chose sans vous en apercevoir. Dans la série “De Blob” vous jouez dans un monde où les habitants ressemblent à des bonbons Haribo. C’est très cartoon et ça a l’air inoffensif.
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PLAYLIST SOCIETY : A ce propos, les personnages s’expriment en “blobish”, une langue incompréhensible.
DE BLOB : C’est incompréhensible, donc c’est universel en fait. C’est peut être le meilleur moyen de faire passer des émotions que tout le monde peut comprendre. Il n’y a pas la barrière des mots. Ca fonctionne bien, je trouve. Et puis ça permet de sous entendre des choses qu’on aurait peut être eu du mal à faire passer dans un jeu grand public. (il sourit).
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PLAYLIST SOCIETY : Les Sims de Will Wright utilisent aussi ce langage bien à eux, que tout le monde comprend. Pourtant, on a l’impression que votre jeu s’inscrit dans une démarche très différente …
DE BLOB : (un temps) … C’est même le contraire ! Les Sims, c’est un manifeste pour la normalité. Je le trouve très insidieux, ce jeu. Surtout compte tenu de son succès planétaire. (il prend une couleur rouge colère). Dans les Sims, on vous fait croire que vous êtes libre de choisir votre voie, alors que tout ce que vous avez à faire, c’est vous conformer à ce qu’on attend de vous : fonder une famille, gagner votre vie, faire des enfants, travailler votre réseau pour gravir les échelons. Devenir ami avec des cons parce que ce sont vos voisins : quelle tristesse. Ne riez pas, c’est votre monde à vous, les humains. Si la série “De Blob” se déroulait dans le monde des Sims, je suppose que mon objectif serait d’en effacer toutes les couleurs. Pas de lui en redonner. Vous voyez ce que je veux dire ?
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PLAYLIST SOCIETY : Je crois. Mais “le monde des Sims”, c’est celui des humains, donc bon.
DE BLOB : Exactement. (il désigne la fenêtre). Regardez-moi vos rues : vous avez l’impression que c’est coloré alors que tout est grisâtre. Si avec « De Blob 2 » on peut amuser les joueurs et leur faire comprendre ça au passage, on aura réussi quelque chose.
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Dans les rue du 6ème arrondissement, les passants passent en noir et blanc. Dans ma poche, un autographe maladroitement signé par De Blob :
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“Colour your world !”
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Note : 7/10
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