Grand prix du jury du festival Sundance 2008, markété comme il se doit avec la citation suivante de Quentin Tarantino sur l’affiche : « Le thriller le plus excitant de l’année… A vous couper le souffle ! », vendu par certains comme un film proche du « Fargo » des frères Coen, « Frozen River » n’est en réalité pas grand-chose de tout cela. Il ne s’agit ni d’un thriller, ni d’un polar, il ne possède ni violence ni humour noir, et s’il couple le souffle c’est grâce à son ambiance pesante et non via d’hypothétiques scènes d’action. Enfin bon que voulez-vous, les voix du marketing sont impénétrables.
Reprenons depuis le début, « Frozen River » est donc le premier film de Courtney Hunt, une femme de 43 ans au parcours atypique (elle a d’abord fait du droit). Il s’agit d’un drame social sombre qui rappelle « It’s A Free World » de Ken Loach de par cette thématique d’une femme qui confrontée à la misère va être amenée à se tourner vers l’illégalité et à jouer un rôle dans le commerce de travailleurs clandestins. Cependant là où Ken Loach fait souvent preuve de lourdeur en forçant la leçon de morale, Courtney Hunt au contraire ne juge jamais ses personnages. Ainsi, on se retrouve vite dans un drame humain porté par la superbe Melissa Leo qui via une larme, une démarche mal assurée ou encore un gros plan sur son visage ridé transmet avec tact et émotion le désespoir de sa situation.
« Frozen River » est un peu l’archétype du film indé avec ses défauts (des plans un peu trop appuyés, une mise en scène qui prend son temps) mais aussi ses qualités (un niveau d’écriture servant à compenser la faiblesse du budget). Planant dans une ambiance dont les codes sont parfaitement maîtrisés, le film utilise le froid, les mobil home, les stations essence ou encore les routes désertes pour créer le contexte qui donnera la force au récit. Entre un plan sur un paysage blanchi et quelques notes de guitares acoustiques d’obédience folk, le spectateur est saisi par une beauté qui n’a rien de misérabiliste. Courtney Hunt ne filme pas la pauvreté pour faire pleurer, elle la filme pour servir son histoire et ce de manière noble. On ne tombe jamais dans le too-much à l’américaine. Non le bébé ne sera pas retrouver mort dans le froid, non Jimmy ne mourra pas d’asphyxie sans avoir eu aucun cadeau pour Noël, non Ray ne prendra pas 10 ans de prison, non TJ n’ira pas en maison de redressement pour une bêtise d’adolescent. Le drame est d’autant plus fort qu’il colle à une réalité.
De même, on appréciera combien les personnages ne sont jamais jugés et comment la thématique de la discrimination s’incorpore à l’ensemble sans leçon. TJ irai bien casser du Mohawk, l’héroïne pense que les pakistanais sont tous des terroristes, les asiatiques ne veulent pas être conduits par une femme, les indiens et les chiens ne font pas confiance aux blancs. Bref dans la pauvreté, le communautarisme est ici une attitude naturelle pour la simple et bonne raison que ce film ne traite pas du bien et du mal mais de la survie. La question sur le bien-fondé de l’action de Ray n’est jamais posée, car peu importe la morale, elle fait ce qu’elle a à faire, ce qu’elle peut faire.
Ainsi « Frozen River » s’impose comme le film indé de cette nouvelle année 2009. Il aurait peut être juste fallu un soupçon de poésie supplémentaire pour vraiment que le film emporte l’adhésion totale (la scène finale où TJ finit de réparer le manège aurait pu être mise plus en valeur), et un chouia d’humour dans les dialogues aussi, car pour ce qui est du « sérieux », « Frozen River » se pose un peu comme un modèle du genre.
Note : 7,5/10