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SUCKER PUNCH de Zack Snyder

Sortie le 30 mars 2011 - durée : 1h58min

Par Thomas Messias, le 25-03-2011
Cinéma et Séries

Bienvenue dans le crâne de Zack Snyder. Taxé de petit génie visionnaire, le cinéaste n’avait pourtant jamais mis ses tripes sur la table, trop occupé à (re)donner vie aux créations de George A. Romero, Frank Miller ou Alan Moore. Si Sucker Punch constitue un véritable événement, c’est d’abord parce qu’il s’agit du premier scénario original écrit par Snyder. Sous ses airs de blockbuster foisonnant, le film est émouvant parce qu’il permet de rencontrer un auteur. À l’intérieur de la machine de guerre, il y a donc des sentiments, des fantasmes, des regrets ; c’est d’ailleurs le principe même du film, qui navigue entre plusieurs eaux pour faire de ses héroïnes tantôt de jeunes filles blessées, tantôt d’inconscientes guerrières. Sucker Punch est le film de tous les grands écarts, permettant à chacun d’assumer sa bipolarité : l’auteur et le technicien, la fleur fragile et la femme forte, le drame intimiste et le film d’action. Mieux vaut ne pas être sujet aux nausées pour parvenir à accepter cet ambitieux zigzag.

Pendant un quart d’heure, on croit même au chef d’oeuvre. La scène d’ouverture, sur fond de reprise de Sweet dreams (la BO façon recyclage est d’une hétérogénéité à faire peur), ressemble au prologue de l’opéra rock le plus insensé de l’histoire. Aucun mot, ou si peu, pour camper une histoire, asseoir une poignée de personnages, et faire de celle qu’on appellera Babydoll (Browning, discrètement convaincante) une héroïne tragique qu’on suivra sans réserve, quitte à s’abimer, jusqu’au bout de ses pérégrinations infernales. Enfermée dans un asile par un beau-père vicieux et vénal, elle est même sur le point d’être lobotomisée grâce à un faux perpétré par l’infirmier général. C’est fulgurant, grandiose, massif, guidé par des idées de mise en scène assez folles (quand un bouton décousu est grossi dix mille fois pour signifier la pesante gravité d’une situation), et on rentre corps et âme dans cet univers, pénétrant le cortex de Snyder dans une immense et jouissive séance de dépucelage. S’opère alors un basculement insensé, qui donne au film des résonances psychanalytiques sans fin : un soubresaut visuel et l’asile devient bordel, les patientes ses pensionnaires… et la promesse d’une lobotomie se mue soudain en annonce d’une perte de virginité (on y revient) imminente. Les allers-retours entre les deux univers se multiplient : on retrouve les mêmes visages, les mêmes personnalités. Un transfert a eu lieu. Loin d’une simple mise en parallèle futile et facile, la façon dont Zack Snyder imbrique ces univers fait de Sucker Punch une spirale dans laquelle on se laisse aspirer avec plaisir et inquiétude.

Aussi magistrale soit-elle, cette ouverture est hélas suivie d’une légère descente d’acide lorsque la spirale en question redevient légèrement plus linéaire. Alors que s’organisent les envies d’évasion de Babydoll et de sa bande de filles, le film bascule dans une construction alternée qu’il ne quittera qu’en fin de voyage. Comme dans un jeu vidéo ancestral, il s’agira pour les personnages de réunir un certain nombre d’objets essentiels qui leur permettront éventuellement de pouvoir s’échapper. La suite est simple, loin des vertigineux débuts mais presque aussi grisante : à une bobine située dans le fameux boxon répond une autre pleine de bastonnades en tous genres, située cette fois dans l’esprit de Babydoll et/ou ceux de ses partenaires. On bascule régulièrement du monde “réel” à un univers fantasmé où des ninjas géants côtoient des dragons, des soldats robots et autres personnages malveillants. Chaque affrontement permettant d’obtenir l’un des objets convoités. Faut suivre.

Le film est alors traversé par un déséquilibre qui aurait pu lui ôter tout relief : si les scènes de maison close exercent un magnétisme grandiloquent dont les excès sont la force, les séquences de crêpage de chignon avec de monstrueux méchants créent un désintérêt total en raison d’effets numériques inaboutis et d’un sens du n’importe quoi assez mal maîtrisé. Se crée alors une drôle de sensation : voilà le spectateur en position d’attente. Voir Sucker Punch, c’est jouer à un chouette jeu vidéo avec un pote, mais le laisser se dépatouiller avec les boss de fin de niveau pour mieux lui reprendre la manette dans les moments les plus cruciaux, les plus profonds, les plus singuliers. Au cinéma, difficile de profiter des pauses pour aller se ravitailler en bière ; on se contente donc de patienter poliment pendant que ces demoiselles défouraillent tout ce qui ressemble de près ou de loin à un méchant, pour mieux savourer leurs errements à l’intérieur de l’asile. Et si le film se relève de ces incessantes sautes de rythme, c’est uniquement parce que lesdites scènes sont d’une puissance tragique absolue, dominées par des personnages si tumultueux qu’ils en sont totalement imprévisibles. Du mac aux yeux charbonneux au cuisinier obèse, les hommes sont tous des pourris dont ce film prônant le girl power exploite à merveille les différents travers.

Finalement, Snyder bouclera la boucle en orchestrant la fameuse évasion, loin d’être aussi planplan que ce que le statut hollywoodien du film aurait pu laisser croire. Une conclusion qui lui permettra de poser les dernières briques d’une réflexion passionnante sur le libre-arbitre, l’existence ou non du destin, le pouvoir de la volonté. S’ouvrant et se concluant par une voix off, Sucker Punch se clôt par une morale qui pourrait sembler bien niaise si on ne gardait pas à l’esprit le fait que tout ceci n’est qu’un conte. Pas si éloigné que cela d’Alice au pays des merveilles (le chef d’oeuvre de Lewis Carroll, pas le terne hara kiri de Tim Burton), le quatrième film de Snyder n’est sans doute pas le meilleur mais c’est en tout cas le plus sincère, le plus ouvert. Ce vol au-dessus d’un nid de cocottes assume aussi bien sa noirceur que sa candeur. L’intégrité sans borne de l’artiste donne envie d’excuser tous les défauts de l’oeuvre, et de le retrouver au plus vite dans des projets aussi personnels que possible.

Note : 8/10