THE COMPANY MEN de John Wells
Sortie le 30 mars 2011 - durée : 1h49min
John Wells serait-il un admirateur secret d’Eddy Mitchell ? Son premier film ressemble en effet trait pour trait à “Il ne rentre pas ce soir”, l’une de mes chansons préférées de Claude Moine, sur un type fraîchement mis au placard par une entreprise à laquelle il avait tout donné.
« Il écrase sa cigarette puis repousse le cendrier,
Se dirige vers les toilettes, la démarche mal assurée
Il revient régler ses bières, Le sandwich et son café
Il ne rentre pas ce soir.
Le grand chef du personnel l’a convoqué à midi :
“J’ai une mauvaise nouvelle, vous finissez vendredi
Une multinationale s’est offert notre société
Vous êtes dépassé. Et, du fait, vous êtes remercié
Il n’y a plus d’espoir, plus d’espoir
Il ne rentre pas ce soir
Il s’en va de bar en bar
Il n’y a plus d’espoir, plus d’espoir
Il ne rentre pas ce soir.
Il se décide à traîner car il a peur d’annoncer
À sa femme et son banquier la sinistre vérité
Être chômeur à son âge, c’est pire qu’un mari trompé
Il ne rentre pas ce soir.
Fini le golf et le bridge, les vacances à St Tropez,
L’éducation des enfants dans la grande école privée
Il pleure sur lui, se prend pour un travailleur immigré
Il se sent dépassé. Et, du fait, il est remercié
Il n’a plus d’espoir, plus d’espoir
Il ne rentre pas ce soir
Il s’en va de bar en bar
Il n’a plus d’espoir, plus d’espoir
Il ne rentre pas ce soir. »
Comment résumer de meilleure manière l’ambiance pesante et désabusée qui pèse sur cette histoire de types se définissant uniquement par leur job et se retrouvant par conséquent fort dépourvus lorsqu’une réduction d’effectifs inopinée les tire de leur confortable torpeur. Sans cynisme, Wells dépeint la fin du rêve américain, et la totale implosion des certitudes qui l’accompagnent. Ces types encravatés, sans doute compétents, appréciés autant qu’on puisse l’être, se retrouvent du jour au lendemain sur le parking de leur société, un carton sous le bras, soudain dépossédés de leur existence sociale.
À la manière d’un film choral, The company men montre comment chacun tentera d’affronter une situation nouvelle, qu’ils estiment dégradante. Certains se relanceront par des moyens divers, d’autres connaîtront une chute abrupte et s’enfermeront dans une ribambelle de désillusions… À travers les portraits croisés de ces hommes dans le doute, c’est tout un pays que décrit Wells. L’eldorado n’est plus, la sécurité de l’emploi ne signifie plus rien, les couperets tombent et les masques aussi. Le grand atout du film, c’est sa capacité à prendre suffisamment de distance pour éviter de devenir une grande symphonie lacrymale made in Hollywood sans pour autant virer dans un registre social convenu. Le réalisateur n’a pas cette prétention, collant au sujet avec une humilité touchante.
C’est finalement le grand message du film : un peu de modestie et de remise en question n’a jamais fait de mal à personne. La réalisation fait preuve d’une simplicité assez salvatrice, et les personnages qui s’en sortent le mieux en bout de course sont ceux qui auront su prendre un peu de recul, ravaler leur fierté et repartir du bas de l’échelle. À ce titre, le personnage le plus sympathique est sans doute celui qu’incarne Ben Affleck, symbole candide mais pas trop de cet espoir qui subsiste. Vraiment très bon, l’acteur n’a pas à rougir de figurer aux côtés de Tommy Lee Jones ou Chris Cooper, fers de lance d’une génération vieillissante qui éprouve davantage de peine à rebondir. The company men est un film attachant et honnête par sa façon de se mettre au niveau de son spectateur, sans jamais le prendre de haut pour lui faire la leçon. On en sort à la fois fébrile et ragaillardi, désireux d’en découdre et de se remettre dans les oreilles la douloureuse complainte chantée par m’sieur Eddy.
Note : 7/10