Avec « Les Chansons d’amour » Christophe Honoré s’était déjà attaqué avec brio à l’un des styles les plus « casse gueule » du cinéma : la comédie musicale à tendance dépressive. Aujourd’hui, il réitère l’expérience avec le drame sentimental adolescent, un autre sujet également très difficile à traiter sans tomber ni dans le pathos ni dans le cliché.
Librement inspiré de « La Princesse de Clèves » de Mme La Fayette, « La Belle Personne » cumule sur le papier les handicaps et les idées immettables en scène. Effectivement il s’agit tout de même d’un film traitant des histoires d’amour d’adolescents du 16ème qui, dans le quotidien de leur enfance bourgeoise, déclament des passages d’un des classiques de la littérature française. Ils sont tous beaux, tous relooké par Hedi Slimane, et on pourrait presque craindre qu’on nous refasse le coup du « Péril Jeune ».
Mais non, une fois de plus, Chistophe Honoré évite tous les pièges qui étaient pourtant si nombreux. Tous d’abord il supprime tous les clichés et tous les passages obligés de ce genre de film. Ici nul question de rengaine sociale, le film se passe dans le 16ème mais il s’agit juste d’un cadre qui n’est jamais utilisé pour faire passer un message politique. Rien n’est exagéré, les élèves ne sont pas rendus plus intelligents ou plus prétentieux. Mais surtout le film évite tous clichés. On ne nous sort jamais le coup du jeune riche qui au fond est mal dans sa peau parce que ses parents ne font que travailler, l’ignorent et achètent son amour avec de l’argent. Pas de personnages édulcorés, non plus, comme la pétasse de service, manipulatrice qui est au fond mal dans sa peau, pas de second rôle avec le jeune ado débile et obsédé. Pas de scènes où les jeunes fument des pétards et picolent, comme on peut en voir dans tous les autres films pour dénoncer je ne sais quoi ou pour faire cool. Aucun discours sur l’éducation, aucune blague débile. Aucun faux pas.
C’est bête mais c’est beau de voir un réalisateur se focaliser sur son sujet et de se foutre du reste ; ça parait évident mais c’est si rare aujourd’hui de protéger comme ça son sujet. Et le sujet de « La belle Personne », c’est clairement les relations amoureuses et la tristesse qui les accompagne toujours. C’est même plus que le sujet de « La Belle Personne », c’est le sujet de toute la filmographie de Christophe Honoré. Que l’on parle de ses deux dérangeants premiers films « 17 fois Cecile Cassard » et « Ma Mère », du à la fois léger et dark « Dans Paris » ou encore du chef d’œuvre « Les Chansons d’Amour », tout cela n’est au fond que des variations différentes sur la tristesse de l’amour.
Et puis surtout il y a Louis Garrel, acteur fétiche de Honoré, un acteur qui pourrait être le jeune premier du cinéma français, qui pourrait tourner dans des bouses sentimentalistes mais qui reste ici à trinballer son mélange de dépression et de classe, avec sa démarche si personnelle, son style et ses mimiques. Louis Garrel joue ici le rôle d’un professeur, d’un adulte qui est indubitablement attiré vers l’adulescence. Plus le film avance, plus il devient l’un de ses élèves, plus il redevient cet acteur à qui il est si difficile de donner un âge. Il a 25 ans, soit deux ans de moins que moi, ce qui me fait, je ne sais pourquoi, vraiment bizarre, sûrement à cause de cette prestance.
A mes yeux, lorsque l’on cherche à faire des films émotionnellement fort, il y a un point culminant qu’il faut atteindre mais surtout ne pas dépasser sous peine de sombrer dans la niaiserie absolue, et la force de Honoré, c’est de toujours savoir où est ce point. C’est ce talent qui lui permet d’utiliser au mieux les chansons d’Alex Beaupain, où d’enchaîner des scènes de dialogues criantes de vérité et de naturelle (cf la scène où Louis Garrel est au bar avec le prof de maths) avec des scènes ultra théâtrales et maniérées.
Au final, on ne nous casse jamais les couilles avec la morale, on se fout moralement qu’un prof se tape une élève, on se fout moralement que deux amis garçons ayant eu une aventure se partagent la même fille, et que l’un se barre pour un autre mec. En fait on se fout de tout ici, le seul truc qui compte est la dramaturgie, le lyrisme de l’impossibilité amoureuse permanente. Tout ce qui n’y concourre pas est éludé. Alors bien sûr, tout prend ici des proportions capitales pouvant mener aux décisions les plus extrêmes, mais c’est justement ça que recherchait Honoré en réalisant un film adolescent : rien n’y est rationnel et la « passion » y prend tous son sens.
Après, c’est sûr que ce film en insupportera plus d’un, ceux qui lui reprocheront le milieu dans lequel il évolue, ceux qui ne seront pas toucher et qui tourneront tout à la dérision. Car sur ce registre, il n’est pas malvenu de ne rien ressentir et de se moquer ; simple question de sensibilité, même si perso j’ai choisi mon camps. De plus, il faut noter un détail qui inquiète un peu : Honoré tourne de plus en plus vite, et ce qui est une qualité pourrait rapidement se retourner contre lui. Si au niveau image le film ne souffre pas trop de la rapidité du tournage, il n’en est pas de même pour le son. Effectivement, la prise de son est plus qu’approximative, certains dialogues étant à la limite de l’audible. C’est peut être un détail mais ça entâche le film d’un certain manque de professionnalisme.
Mais bon, malgré les légers défauts cités plus haut, “La Belle Personne” s’inscrit parfaitement dans la filmographie sans faux pas de Christophe Honoré, qui peut maintenant se targuer d’être avec Jacques Audiard, l’un des réalisateurs français contemporains les plus excitants. « La Belle Personne » clôturait sa trilogie parisienne. Je suis maintenant curieux de voir comment Honoré va évoluer, car il doit évoluer, prouver qu’il peut composer avec autre chose que la tristesse mais toujours avec la même justesse. S’il réussit ce chalenge, il aura sa chance de passer à la postérité.
Note : 8,5/10