IL ÉTAIT UNE FOIS UN MEURTRE de Baran bo Odar
Sortie le 27 avril 2011 - durée : 01h58min
Les whodunits les plus mémorables n’en sont pas. C’est ce que confirme cet incroyable film allemand, cousin pas si éloigné de The pledge et Mystic river, pièces maîtresses sur la culpabilité et la perte de repères qu’engendre la recherche d’un coupable. Il était une fois un meurtre brille par sa construction chorale qui rend son imbroglio policier passionnant à plus d’un titre. D’abord en tant que tel, puisque les scènes d’introduction successives installent une ambiance poisseuse et addictive qui donnerait envie, si ce film était un livre, d’aller fouiner dans le dernier chapitre pour en savoir tout de suite davantage. Ensuite parce que le film de Baran bo Odar (joli nom) tisse une implacable toile autour de personnages dont on ne sait jamais quoi penser. Quand les différents enquêteurs, les victimes et leurs familles ont l’air presque aussi louche que les coupables, il y a de quoi se poser des questions (souvent injustifiées) et ressentir en tout cas une sérieuse impression d’insécurité permanente. La moiteur estivale ne fait que rendre l’ensemble encore plus pesant. Pesant mais pas si glauque que ça : bien entendu, il est question d’un crime pédophile, mais celui-ci est filmé sans racolage et rapidement évacué par un réalisateur ne désirant pas créer le malaise pour le malaise.
Il était une fois un meurtre revêt en outre une dimension supérieure en tant qu’étude comportementaliste de l’homme dans tous ses états : en situant le plus clair de son action 23 ans après le crime originel, il crée chez chacun de ses personnages une ambivalence tétanisante due à la gigantesque ellipse effectuée par le scénario. Que s’est-il passé pendant ces nombreuses années ? Les esprits se sont-ils apaisés ou la colère est-elle toujours la même ? Les monstres en sont-ils toujours ? Les questions sont multiples, et Baran bo Odar réussit le curieux exploit de répondre à la majeure partie d’entre elles sans jamais se montrer démonstratif. Après deux heures d’un marathon intensif, on laissera ces personnages avec le sentiment d’en avoir beaucoup appris sur eux… mais de ne pas forcément connaître toute leur part d’ombre. Le genre de film qui continue de faire son office bien après le générique de fin, et qui sidère non seulement par ses multiples points forts, mais aussi par sa façon élégante d’éviter les pièges inhérents à son sujet. On craint souvent que le film ne dépasse la ligne jaune en abusant d’effets de style ou en tombant trop régulièrement dans le malsain.
Le cinéaste donne corps à ces questionnements et à cette inquiétude grâce à une mise en scène qu’on pourrait dire digne des meilleurs polars américains si elle ne possédait pas une bonne dose de singularité. Baran bo Odar opère tel un génial caméléon, alternant éblouissants plans larges et plans très resserrés. Le plus brillant des enquêteurs n’aurait pas fait mieux : porter un regard distancié sur chaque situation pour mieux s’immiscer ensuite dans l’esprit de ses protagonistes. En outre, il dispose d’une botte secrète qui n’a rien d’un caprice de gamin : cet homme-là maîtrise le plan-séquence comme pas deux. Il y en a notamment un, peu avant la résolution du film, si efficace et si poignant qu’il est même possible de passer à côté de la performance technique pour être simplement happé par le potentiel émotionnel de cette scène dans laquelle la vérité semble enfin prête à éclater malgré les obstacles innombrables. Stupéfiant metteur en image, ahurissant directeur d’acteurs (il faudrait tous les citer), Odar gagne très aisément ses galons de réalisateur haut de gamme.
Note : 8/10