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L’HOMME D’À CÔTÉ de Gaston Duprat et Mariano Cohn

Sortie le 3 mai 2011 - durée : 01h50min

Par Thomas Messias, le 03-05-2011
Cinéma et Séries

Résumé imparable de ce qui se produira ensuite, oeuvre simple et plastique digne des meilleures expositions d’art moderne, le générique de L’homme d’à coté suffit à donner la preuve du haut niveau d’exigence de son duo de réalisateurs. Un split-screen d’une simplicité désarmante permet d’observer simultanément les deux face d’un même mur : à droite, un homme armé d’une masse frappe avec régularité dans la cloison afin de la perforer ; à gauche, le mur se fissure peu à peu puis finit par offrir une ouverture de plus en plus conséquente. Le tout au rythme des coups sourds portés par cet homme dont on ne voit que le bras. Ou comment un havre de paix et d’harmonie se transforme subitement en un petit théâtre de cauchemar à cause de quelques décibels et d’une poignée de gravats. Le film de Gaston Duprat et Mariano Cohn bâtit autour de cette querelle de voisinage une étude de moeurs absolument époustouflante, critique acerbe de l’homme dans ce qu’il a de plus médiocre.

Personne n’est épargné : ni le designer fièrement installé dans une maison construite par Le Corbusier (la seule dans toute l’Argentine) avec une famille qui le méprise, ni son voisin taciturne, bricoleur du dimanche et beauf permanent, qui vient briser son apparente plénitude en perçant un jour une fenêtre donnant sur sa luxueuse habitation. Une ouverture qui pourrait permettre à chacun de découvrir l’univers de l’autre, de s’en accommoder, d’en tirer profit, mais qui ne fait au contraire que renforcer les tensions et les différences d’ordre social et culturel. Avec maestria, le duo de cinéastes parvient à faire vivre ce fil très ténu pendant près de deux heures sans jamais s’écarter de son sujet. L’homme d’à côté épouse avant tout le point de vue de Leonardo, artiste et concepteur arrivé en haut de l’échelle et désirant le faire ressentir à tout le monde. Complaisant ou méprisant avec ses étudiants, flagorneur et mielleux dans ses rapports conjugaux, il n’est jamais autant lui-même que face à sa propre fille, qui répète inlassablement les mêmes chorégraphies sans jamais se soucier de ses conseils, de ses réprimandes ni même de sa simple présence. Ce type a construit sa vie entière en dessinant un fauteuil ergonomique et agréable à l’oeil ; quelques secondes d’harmonie créatrice pour des années à s’enfoncer dans une suffisance doucereuse, une auto-satisfaction crasse, un dédain total pour tout ce qu’il juge inférieur à lui. Il suffit d’une fenêtre pour faire voler en morceaux ses certitudes et son petit confort, et son naufrage progressif est absolument jouissif.

Pour autant, le script ne se contente pas de faire du fameux perceur de fenêtre le révélateur trop évident des mille contradictions d’un homme s’étant cru arrivé. Car Victor Chubello, celui par qui le tumulte arrive, n’a rien d’un homme providentiel. Sa voix rauque et ses airs de brute épaisse créent d’entrée un malaise palpable : clairement, ce type se moque des conventions, de l’ordre établi, de ce qui définit le bon et le mauvais goût. Chaque découverte successive ne fera que confirmer la déstabilisante marginalité de cet homme-là, qu’aucune entreprise amicale ou hostile ne peut contenir. Le réalisme des situations et la précision du trait permettent très vite de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un thriller, que Chubello ne va pas débarquer du jour au lendemain et zigouiller ses voisins comme cela se produit dans la plupart des films du genre. L’emprise de L’homme d’à côté est plus insidieuse car elle permet avant tout de mettre en lumière les failles d’un système et les fissures qui lézardent les prisons les plus dorées.

Froide sans être clinique, la mise en scène tire malicieusement profit de la structure singulière de la maison dans laquelle évolue la famille Kachanovsky. Baies vitrées à perte de vue, pièces bizarrement emboîtées, hall entortillé : un décor idéal dont le tandem Cohn-Duprat ne se contente pas. Sur les plans visuels ou sonores, L’homme d’à côté n’est jamais au repos ; contrairement à son méprisable héros, il reste sur le qui-vive et se remet en question de façon permanente. C’est une opération de chirurgie sociale, ludique et grinçante, qui cloue chacun au pilori mais le fait sans systématisme, jusqu’à une fin terrible et laconique dont l’amertume enthousiasme.

Note : 8/10

https://www.youtube.com/watch?v=K6e7HC3__tw