En Haïti, une semaine avant Pâques, le pays se transforme en une immense piste de danse. Un peu partout apparaît sur les routes une foule bigarrée, composée essentiellement de joyeux fêtards, percussionnistes, chanteurs, danseurs et autres tapeurs de bambou, tous sous l’emprise d’un alcool local, le fresko. La musique et les chants envahissent les rues, il y est question de joie, de ferveur religieuse et de retrouvailles fraternelles. Loin des clichés misérabilistes dont les médias occidentaux se repaissent, Il est temps de découvrir qu’Haïti est une terre de contrastes culturels assez marqués où la musique joue un rôle prépondérant. Il existe dans ce petit pays plus d’une dizaine de courants musicaux portant des noms aussi évocateurs que Fèy, Mèringue ou Rara. Tous issus de la culture créole, ils nous plongent dans une ambiance musicale hors-norme et hors-temps.
Les historiques
La Choucoune (Petit Oiseau en français) est un des chants historiques et populaires d’Haïti. La chanson fut adaptée d’un poème écrit par Oswald Durand, figure légendaire, en 1883, vantant les mérites et la beauté d’une femme haïtienne qui portait ce surnom. C’est un des deux piliers de la culture haïtienne, l’autre étant l’hymne national. Ce titre connut une carrière internationale. Lorsque le Calypso devient un genre populaire aux Etats-Unis, la chanson connut une seconde jeunesse lorsque Norman Luboff la réarrangea et réécrivit les paroles (avec Alan Marylin Bergman) en anglais, rajoutant quelques strophes. Ainsi naquit Yellow Bird, standard parmi les standards qu’Harry Belafonte reprendra, en y apportant aussi sa touche personnelle, ainsi que Chris Isaak.
Le Rara est la principale composante musicale des fêtes de Pâques en Haïti depuis les temps coloniaux et célèbre les racines africaines du peuple haïtien. Chanté en créole, ce rythme musical se caractérise essentiellement par ses percussions issus du vaudou et suit un un rituel religieux très précis. Après quelques dévotions dans un temple vaudou, les orchestres Rara, emmenés par une clique formée de colonels et autres présidents — qui forment une hiérarchie aussi ancestrale que mystérieuse — passent de maison en maison pour collecter quelques piécettes. S’ils rencontrent un autre orchestre Rara, ça se termine généralement en bonne bagarre. Véritable pierre angulaire de la musique en Haïti, le Rara est aussi la mémoire vivante et en marche d’Haïti.
All that jazz
Si la musique éthico-équito-durable en Haïti existait alors le Jazz en serait le père nourricier et le Compas, le fils putatif. Dérivé de ses grands frères européens et africains, le Compas (ou Kompa) est considéré comme la musique nationale d’Haïti. Le genre fut développé dans les années 50 conjointement par Nemours Jean Baptiste et Webert Sicot, tous deux musiciens de jazz. Basé essentiellement sur l’improvisation, le Compas diffère du jazz traditionnel par l’incorporation de rythmes populaires et surtout des instruments à vent. Ce genre devint vite populaire auprès de la jeunesse haïtienne, entraînant dans son sillage une querelle des modernes et des anciens. En effet, le Compas supplanta un mouvement surnormmé le Jazz des Jeunes qui sévit dans les années 20/30 avec des gloires locales comme Celia Cruz.
Comme tout genre qui se respecte, le Compas évolua et passa à la jurisprudence Bob Dylan en s’électrifiant. En introduisant basse, guitare électrique, batterie et saxophone, le mini-jazz transforma radicalement le son en provenance d’Haïti. Qui plus est, il s’accompagna d’une autre révolution : jusqu’alors, la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, était naturellement le centre culturel de l’ïle, mais le centre névralgique se déplaça le temps d’une décennie à Pétion-ville, là où naquit le Mini-Jazz, avec le groupe emblématique Shleu Shleu.
The show must go on…
La musique en Haïti peut être aussi une affaire de famille. Prenez le cas, par exemple, de Charles Dorismond, fils d’Andre Dorismond qui fut le chanteur de Webert Sicot. Comme son père, le petit Charles a toujours voulu devenir grand et dans la musique, si possible. Bigga Haitian ne fit pas que devenir grand, il dépoussiéra la musique de son pays en regardant non plus du côté de Cuba ou de l’Afrique mais plutôt de la Jamaïque. En mariant le reggae au Compas, Bigga Haitian donna naissance à un nouveau genre qui porte son propre nom.
Bigga Haitian ouvrit grand les portes de la modernité à la musique haïtienne. Avant que Wycleaf Jean n’ait des ambitions présidentielles, celui-ci ne ménagea pas sa peine pour revendiquer l’influence de son aîné sur la musique des Fugees, tout comme le Hip Hop. Cependant, le Kreyol Hip Hop ne ressemble pas à son grand frère américain. Tout d’abord, il est caractérisé par un usage intensif du créole et emprunte volontiers ses rythmes et autres samples à la tradition musicale haïtienne. Entendez par là qu’un bon morceau de Kreyol Hip Hop puisera dans le Rara, le Compass et tous les autres courants haïtiens et non chez le grand-frère américain. Celui qui donna ses lettres de noblesse à ce nouveau genre musical est Master Dji, véritable icône en son pays, mort trop jeune pour apprécier l’énorme influence qu’il eut sur la musique de son pays, à l’instar de Bigga Haitian.
Tout le long de son histoire, la musique haïtienne privilégia toujours le fond à la forme, s’attachant plus à écrire des morceaux dont la portée littéraire serait reconnue et reprise par les futures générations. La simplicité formelle des rythmes et autres éléments musicaux n’en est pas moins complexe mais elle permet à l’auditeur de s’attacher à un univers qui n’est pas forcément le sien à l’origine. Entre exotisme et modernité occidentale, les haïtiens ont construit leur propre cathédrale musicale. On ne peut parler ici de folk, de rock ou de rap, aux sens classiques des termes. Non, la musique de ce petit bout du monde est à l’image de son pays : tourmentée, explosive mais aussi infiniment joyeuse et pleine d’espoir.
>> Ce texte est paru originellement sur La Blogothèque
>> Photo d’illustration par Laurence Guenoun
>> Un toit, un avenir : aidons Haïti à se reconstruire : Playlist Society soutient Planète Urgence dans le cadre de l’opération humanitaire « Un toit, un avenir » qui s’adresse aux populations sinistrées par le séisme de janvier 2010. Ce projet porte sur la réhabilitation des habitats et un appui aux activités économiques. Laurence Guenoun, photographe, est parti là-bas pour faire des reportages et des photos. Elle en est revenue avec une idée précise : agir à son niveau et partager ses connaissances avec des enfants. Elle aimerait donc leur fournir des cours de photographie et monter des ateliers d’apprentissage sur place. Afin de trouver les fonds nécessaires pour cette opération, elle organise avec Planète Urgence une vente de photos : https://www.planete-urgence.org/nous/vente-photos-haiti.php