On aurait dit que par une étrange bizarrerie, l’imagier, que je tenais entre les mains, se transformerait sous mes mains en pellicule. J’aurais vu s’y imprimer d’étranges scènes, des extraits de films, un kaléidoscope lumineux et coloré où des ombres en mouvement jouent le rôle de leur vie. La mémoire des uns et des autres s’ouvriraient et s’échapperaient comme autant de scènes de vie. Les quelques notes de musique, qui surviennent maintenant, ne sont que les échos radiophoniques du battement de nos coeurs.
Vous avez tous rêvé un jour devant un film. Vous l’avez vu et revu, jusqu’à plus soif. Certaines scènes resteront à jamais graver dans votre esprit, au fer rouge, comme une encre indélébile. Vous serez à jamais un spectateur, LE spectateur de ce film et en votre âme et conscience, vous garderez en vous chaque détail, plan et dialogue… Vous irez même jusqu’à mimer certaines séquences devenues cultes. Il en va de même avec la musique, elle déclenchera des souvenirs à certaines occasions. Vous ne serez pas ces gosses de Full Metal Jacket qui ignorent qui ils sont et ce qu’ils font, mais vous mourez à l’idée de ne pas suivre ce journaliste, caméra à l’épaule, qui dans un long travelling filme ses camarades, confronté à des individus planqués, devenus des machines à tuer. Vous n’entendrez pas alors le morceau, ce Surfin’ Bird des Trashmen, bande-son de kermesse pour une guerre. Vous vous ne serez jamais douté que seul Kubrick oserait accommoder un tel morceau de cette façon. Et pourtant nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec ce cinéaste qui aura su mieux que quiconque s’abstenir de toute forme d’auto-censure. Prenez la scène du bal masqué dans son dernier film, Eyes Wide Shut, avec cette musique orgasmique, ce Masked Ball, prélude ou épilogue muet, à ce que l’on devine, sera une énorme partouze. Tout est suggéré et rien n’est gratuit dans cette scène.
Que vive l’audace certes, mais encore faut-il la déceler où elle est vraiment. De tous les films de guerre, marqués par le napalm et le lsd, quelle place donne-t-on aujourd’hui au Platoon d’Oliver Stone et au désormais grand frère Apocalypse Now ? L’univers visuel de l’un a-t-il pris le dessus de l’autre ? L’oeuvre de Coppola est-elle plus marquante ? Oui, car il n’aura pas suffit au géant américain de nous plonger au coeur des ténèbres de Joseph Conrad, mais de nous donner aussi une bande son de la mauvaise conscience de l’Amérique. Et quoi que plus prophétique que le The End des Doors ? Personne n’aime sentir le napalm à son réveil, au petit matin, en petit déjeuner. Personne n’aime entendre les pales d’un hélicoptère qui largue au-dessus de la jungle son poison mortel. This is the End, my friend ? Do you know that ?
Mais au fond que fuyons-nous réellement lorsque nous nous confrontons à toutes ces scènes ? A l’odeur de la mort ? Courons-nous brutalement comme Alex, dans Mauvais Sang, empoisonné par son propre sang ? Et le choix de la chanson Modern Love de David Bowie est-elle si anodine ? Je reste toujours impressionné par le choix de certains réalisateurs à choisir une bande son au montage qui colle aussi bien à leur propos.
L’odeur de la mort.
On la filme à merveille.
Là où on l’attend le moins, même dans un cimetière, poursuivie par une soif insatiable pour tout ce qui est brillant. Cette caméra tournoyante de Sergio Leone n’est-elle pas la mort, se moquant de nous, orchestrant notre Estasi Dell’Oro avec la précision d’un chef d’orchestre ? Ou bien dans une banlieue américaine, où elle se programme à l’avance, dans une famille trop étouffante, où le trop plein d’amour d’une mère devient un terrain de jeu néfaste et au final bien nauséabond. Le titre de Air paraphrase à merveille cette nostalgie du temps suspendu, cette lenteur voulue qui révèle peu à peu sa toile, piège mortel pour jeunes filles en fleur et fragiles. Oui, elle est vicieuse cette mort. On l’évite toute notre vie, elle est comme cette aiguille dans le foin, celle qu’on n’espère jamais trouver, mais il suffit que l’on veuille se refaire une seconde peau, une seconde vie et cette aiguille se transforme en lame de rasoir. Cruelle ironie du sort, il faut que ce soit Elliott Smith qui illustre cette scène dans Royal Tenenbaums.
Et puis un jour, on se retrouve face à elle, brutalement. Elle s’invite clairement dans votre vie et vous provoque. “Say a little pray for a quick death” te murmure-t-elle presque à l’oreille. Tu aurais pu être assis avec Woody Allen, respirer avec Gerschwin les belles images en noir et blanc de Manhattan ou bien dans un geste d’amour impossible faire rencontrer l’homme et la femme à un concert de Nick Cave, gardant par la même occasion, tes ailes. Mais non, tu es englué avec elle au milieu d’une pièce, ligoté, le visage en sang, te demandant bien comment ton bourreau, le malfrat en face de toi, te torturera. Stuck in the middle with you. Tu aurais bien voulu en fait te jouer encore d’elle, marcher dans la rue, après avoir vu ton meilleur ami se faire sauter la cervelle dans les toilettes, parce qu’il ne supportait plus cette guerre et jouer ton numéro de séduction sur cette prostituée. S’acheter un peu d’amour alors qu’on est à Hanoï, pour oublier pendant quelques instants, l’horreur. Mais la vieille carne est toujours tapie dans l’ombre :
Something you call love, but confess.
You’ve been messin’ where you shouldn’t have been a messin’
Le plus terrible dans tout ça, c’est d’entendre Nancy Sinatra te le dire. Pute ou pas, attendre à l’hôtel Chevalier, sa moitié, pour lui dire qu’on part en voyage avec ses deux frères, en Inde, pour un temps indéterminé, c’est commettre peut-être un acte irréparable. Where do you go to (my lovely) ? Je ne sais pas : mon père est mort il y a trois et je dois renouer des liens avec mes frères… Ha ! ton père est mort ? Décidément. T’échapperais-je un jour ? Ou continueras-tu à me poursuivre, jusqu’au bout du bout ? Devrais-je un jour me séparer la mort dans l’âme de l’amour de ma vie sur le plus beau morceau de Mogwai et finir comme Sonny et Isabella, dans un regret éternel ?
L’odeur de la mort.
En a-t-elle une au moins ?
Vais-je la sentir ?
Au milieu de nulle part.
A sourire, béat, sur une route déserte, en pyjama, comme Donnie Darko. The Killing Moon d’Echo & The Bunnymen introduit une histoire qui à ce moment précis est déjà finie. Une histoire parallèle commence et nul ne sait que la lune peut, une nuit, lâcher sur une maison un paquet mortel.
Alors que nous reste-t-il ? Fuir ? Suivre les lignes jaunes d’une route sans fin dans la nuit profonde ? Ne pas se retourner, se laisser hypnotiser. Mais, au fond, qui s’en soucie ? Notre fuite en avant est le reflet de notre désir d’immortalité. Toute cette histoire, tous ces morceaux ne sont que des substrats à notre folie, à la mienne. Car si vous ne le saviez pas encore : I’m Deranged.
- The Trashmen – Surfin’ Bird (titre proposé par Bengalolo)
- Jocelyn Pook – Masked Ball (titre proposé par Eeleria)
- The Doors – The End (titre proposé par Manu Le B. et Christophe)
- David Bowie – Modern Love (titre proposé par KMS)
- Ennio Morricone – L’Estasi Dell’Oro (titre proposé par Marien)
- Air – Playground Love (and One For The Road) (titre proposé par Gotsky et Nicolas)
- Elliott Smith – Needle In The Hay (titre proposé par Mus)
- George Gershwin – Rhapsody In Blue (titre proposé par Patsy_Stone)
- Nick Cave & The Bad Seeds – The Carny (titre proposé par Fantaisie et Christophe Basterra)
- Stealers Wheel – Stuck In The Middle With You (titre proposé par Paulo, Joris et Nicolas)
- Nancy Sinatra – These Boots Are Made For Walkin’ (titre proposé par Bengalolo)
- Peter Sarstedt – Where Do You Go To (My Lovely) (titre proposé par Roger)
- Mogwai – Auto Rock (titre proposé par B2B)
- A Tribe Called Quest – Can I Kick It ? (titre proposé par Marien)
- Echo & the Bunnymen – The Killing Moon (titre proposé par Mus)
- David Bowie – I’m Deranged (titre proposé par Mathieu)
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>> Le premier Let’s Play a eu pour thème l’alcool, vous pouvez écouter la sélection finale ici.