Thurston Moore a passé sa vie à aller trop vite. Thurston Moore a à peine eu le temps d’épouser Kim Gordon qu’il était déjà l’étendard des nouvelles vagues new-yorkaises qui déferlaient sans cesse. Il a donné au bruit ses lettres de noblesse. Il a enregistré des projets inaudibles. Il a joué de la guitare désaccordée. Il y a trop d’énergie chez ce mec un peu looser, aux éternels airs d’ado mal coiffé. Thurston Moore tâte de tout, trop vite, tout le temps, comme s’il était habité par une bougeotte créatrice.
Thurston bâcle-t-il ? Non, il va juste trop vite. Il est resté dans la folie des années 80 et 90, il est resté le gamin penché sur sa guitare pour en tirer le maximum. Il est resté le jeune homme concentré sur l’immédiateté de sa musique, une fougue complexe et adolescente à la fois. Le nom de Sonic Youth, l’air de rien, résume tout. Sonic Youth, comme la jeunesse qui fane trop vite, mais qu’on perpétue à jamais en gardant sa soudaineté.
Aujourd’hui, Thurston Moore a 53 ans. Il ne semble toujours pas question de souffler. 2011 ? Une bande originale de film avec Sonic Youth, un EP expérimental, un album de guitare acoustique désaccordée. Et un album solo. Les trois premiers restent des instantanées à l’image de sa vie, immédiats et désorganisés. Mais Demolished Thoughts montre un Thurston apaisé. Comme si la contrainte temps s’était évaporé, qu’il avait eu le temps de s’asseoir, de réfléchir, de travailler. Difficile de ne pas y voir Beck derrière, l’anti-catalyseur, le perfectionniste forçant le héros à s’arrêter quelques temps pour prendre du recul. Demolished Thoughts serait comme un album contre-nature. Il semble calme et serein. Il n’y a pas les dissonances et larsens habituels. Il n’y a pas de bruit, il n’y a pas de cris. Il y a juste Thurston et la musique. Il aurait alors fallu plus de trente années pour que Thurston regarde sa musique en face. Et qu’il l’adoube.
Mais Thurston Moore ne sait rien faire d’autre que sa musique, celle qu’il a inventée. Il ne sait rien faire d’autre que de tisser des atmosphères tout en tension. Il ne sait que chanter de sa voix lascive. Qu’importent Beck ou les violons, c’est l’urgence habituelle. Elle est dans les allers-retours mécaniques sur la guitare, dans la façon de cracher les mots. La seule différence, qui induit en erreur aux premières écoutes, ce sont les arrangements, la guitare acoustique et la production étonnamment lisse. Le reste, c’est du Thurston, pur et dur. “Benediction” est belle comme un “Superstar” ou un “Sweet Shine”. “Circulation”, c’est Sister dans toute sa splendeur. Ce n’est qu’une histoire de son. Électriser Demolished Thoughts et vous avez du Sonic Youth. Thurston reste immuablement le même, un gamin indomptable qui vous ressortira toujours le même discours, qu’importe les contraintes. Un gamin qui s’évade en solo parce qu’il a besoin de toujours plus, simplement.
Demolished Thoughts est sorti chez Matador. Ce n’est qu’un album avec la patte Thurston Moore de plus, seuls les atours diffèrent. Parce que Thurston ne sait pas prendre le temps de faire autre chose, même quand on le force.
Note : 8/10