On prend les mêmes et on recommence ? Enfin, les mêmes… honnêtement, ça faisait un bail qu’on avait arrêté de les compter, nous, les lutins suédois – et pas catalans pour un sou – de I’m from Barcelona. Aux dernières nouvelles, on en dénombre vingt dans la pochette intérieure de leur troisième album, alors que dans notre souvenir ils étaient vingt-neuf à leurs débuts. Un changement de line-up qui sacque pour ainsi dire d’un coup neuf musiciens, ça fait quand même lourd, mais encore une fois on n’est pas à ça près. D’autant que I’m from Barcelona, ça a toujours été et ça restera Emanuel Lundgren, ses compositions foutraques, sa voix lead et ses petits amis de Jönköping.
Bien sûr, il y a eu entre-temps “27 Songs from Barcelona”, ce concept un peu ronflant qui voulait démontrer que les autres membres de la bande sont aussi musiciens et, avec plus ou moins de réussite, occasionnellement songwriters. Un vaste bordel qui a fait dévier le groupe de son enthousiasmante trajectoire. Avant cela, en effet, l’épatant “Who Killed Harry Houdini ?” montrait que I’m from Barcelona n’était pas qu’un combo carnavalesque destiné à animer les après-midis des festivals en déguisements animaliers. Surprenant de profondeur, le deuxième album était plus que jamais centré sur son leader et dévoilait une plume plus aiguisée qu’il n’y paraissait, amenée à vivre un futur possiblement imprévisible.
« I need a new direction », chante donc Lundgren sur Always Spring. Un morceau dont le titre trahit les ambitions contradictoires du Suédois, persuadé que quelque part c’est toujours le printemps, et faisant ainsi écho à l’intitulé de cet album anachronique. Car non, aujourd’hui ne durera pas une éternité, et ce qui nous avait amusés sur “Let Me Introduce My Friends” ne pouvait décemment nous faire rire plus longtemps. Ayant négligé le célèbre adage qui fait des plus courtes les meilleures, I’m from Barcelona retourne sans complexe à sa pop festive, occasionnellement contagieuse certes, ce qui ne l’empêche pas de charrier désormais une odeur de plus en plus envahissante de sapin.
Dans le registre foufou, nul doute que le disque compte encore quelques authentiques réussites, en particulier son triptyque d’ouverture (Charlie Parker, Get in Line, Battleships) soit autant d’imparables tubes joyeux bouclés en trois minutes. Par après, on retrouve même un je-ne-sais-quoi de gravité derrière la couche de youp-la-boum d’un morceau comme Come On, mais c’est Game Is On qui révèle les qualités d’écriture les plus tenaces en étalant de façon nettement moins frontale sa plus-value mélodique. Si toutes les compositions pouvaient être de cette facture-là, on ne serait pas étreint par la tentation peu charitable de rebaptiser le morceau Game Over.
Rien de sadique là-dedans : la plage titulaire, loin d’incarner une foi absurde en la longévité de leur art, referme l’album des Suédois comme un chant du cygne. « We didn’t do all the do’s, I guess we did all the don’ts, we’re gonna miss this place. Do what you do and do it all the way. Go where you go, it’s gonna be OK ». Comme s’il avait compris qu’il était temps de prendre des chemins séparés, le groupe semble enfin chanter ce qu’on voudrait l’entendre chanter : la prise de conscience, dépourvue d’amertume, que la fête ne dure qu’un temps et qu’il faut à présent tenter d’autres aventures. Une carrière solo pour Emanuel Lundgren ? Aucun choix artistique ne serait plus avisé.
De nos jours, beaucoup de jeunes gens s’essayent à la vie en communauté, toutes formes de colocation confondues, histoire de subvenir à leurs besoins à moindres frais. C’est aussi, surtout, une façon de reculer à plus tard le passage véritable à l’âge adulte, celui où l’on s’assume pleinement et sans se reposer sur un esprit de groupe positif mais souvent artificiel. Dès lors qu’on a fait le tour de la question, on peut penser à un avenir moins utopiste, plus proche de la réalité de la vie : au fond, on est toujours seul. Emanuel Lundgren nous a présenté de bien sympathiques amis. On espère pour lui qu’ils le resteront mais surtout, qu’il apprendra bien vite à se débrouiller sans eux.
Note : 4,5/10