AMERICAN TRANSLATION de Jean-Marc Barr & Pascal Arnold
Sortie le 8 juin 2011 - durée : 1h49min
Sous son allure de film très mineur, prêt à être happé par la masse des sorties hebdomadaires, American translation présente un véritable intérêt grâce à au moins une de ses caractéristiques : plus que dans 99% des autres films, l’aimer est affaire d’interprétation.
Deux options s’offrent au spectateur venu découvrir le nouveau film de Jean-Marc Barr & Pascal Arnold. La première consiste à se moquer effrontément de l’histoire de ce tueur en série franchouillard et de cette jeune et belle bourgeoise éperdument accrochée à ses basques. Pourquoi rire ? Parce que Pierre Perrier, l’acteur principal, joue horriblement mal, sourcils froncés pour se donner l’air inquiétant, pectoraux fièrement mis en avant sous prétexte de charisme, cabotinage et putasserie. Sous cet angle, difficile de parvenir à sauver quoi que ce soit de ce qui doit ressembler de près à un petit navet.
Mais voilà : une deuxième option est offerte sur un plateau, sans qu’il soit possible de déterminer définitivement s’il s’agit du fruit d’un parti pris délibéré ou d’un malentendu né d’une série d’accidents artistiques. Plutôt bon d’habitude (on l’a vu à son avantage chez Antony Cordier et déjà chez le tandem Barr-Arnold), Perrier ne peut pas être devenu aussi mauvais en aussi peu de temps sans s’y être obstinément préparé. Il n’est alors pas difficile d’imaginer que ce n’est pas l’acteur qui joue faux, mais bien le personnage. Et c’est alors qu’un nouveau monde s’ouvre.
Car alors, le road movie en mode pathétique se meut en un portrait implacable et sans concession d’un couple de jeunes gens stéréotypés, empêtrés dans les idées reçues, ne sachant plus bien où se situer dans cet univers auquel appartiennent aussi bien Jeffrey Dahmer que Christophe Hondelatte. De fait, la scène où Chris raconte le plus sérieusement du monde comment il en est venu à tuer finit par être non pas ridicule, mais absolument édifiante. Ce type n’est pas un monstre. C’est un con doublé d’un beauf, qui pense qu’un homme se limite à l’équation yeux foncés + torse irréprochable + slip kangourou. Le titre permet d’ailleurs de pencher volontiers pour cette hypothèse certes un rien fumeuse : s’il avait déjà entendu parler de James Ellroy, Chris rêverait sans doute d’être un de ses personnages. En vain évidemment. Ses crimes et son parcours ne sentent pas assez le sang séché, ni même la semence.
Quoi qu’il en soit, le personnage incarné par la sublime Lizzie Brocheré est le plus réussi du lot. Effrayée, tétanisée, folle amoureuse de son Chris, cette Aurore ne voit rien. Transie et monolithique, elle laisse soudain une vie rangée pour devenir la pire midinette du monde, une groupie un peu minable se laissant embarquer par le charme dérangeant de ce type qu’elle eut un jour le tort de croiser dans un hôtel. Arnold et Barr font le reste : toujours empreints de la même naïveté, transportés par une gaucherie épisodique souvent rattrapée par le lyrisme inattendu de la scène suivante, les deux compères tissent leur toile quoi qu’il en coûte. On aime les voir évoluer ainsi auprès de jeunes interprètes qu’ils semblent vouloir porter au plus haut. On aime ce paternalisme un peu déplacé mais toujours sincère. On aime que ces mecs filment comme ils respirent quitte à s’étouffer plus d’une fois. Et que leurs films soient suffisamment libres pour laisser libre cours à toutes les interprétations, des plus néfastes au plus salvatrices. American translation échappe aux carcans et c’est la plus belle et la plus sûre de ses qualités.
Note : 6,5/10.