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Cela avait été annoncé comme une mauvaise blague, comme un tour de passe-passe dont les intéressés avaient tenté d’amoindrir l’importance en remplaçant l’appellation LP par celle de maxi. Mais la vérité ne pouvait être niée : à peine quelques semaines après un « Oversteps » auquel on arrivait seulement à envisager une solution aux complexes équations, le duo électronique revenait avec un nouvel album, un vrai, pas un produit bâtard mais bien une nouvelle galette avec ses dix vraies nouvelles chansons. La période où le groupe était encore irrigué par cette envie de sortir rapidement ses nouvelles créations semblait être restée prisonnière du début des années 90, et il semblait implicite que dorénavant chaque album ne pourrait être autre chose que le fruit d’une longue réflexion mûrie sous les rayons artificiels de l’éclairage du sous-sol aux mille claviers. Sachant que le groupe a tendance à composer un quart de milliers de titres avant d’en extraire la signifiante moelle qui apparaîtra sur le disque, on était en droit d’être soumis à un double questionnement qui, croyait-on alors, ne pourrait qu’être générateur de déception. « Move Of Ten » était-il une collection de chutes de studios de « Oversteps » ou pire encore un album « impulsif » que les anglais, enfin satisfait de « leur » son et convaincu que les perpétuelles remises en questions cycliques n’avaient plus lieu d’être, avaient réussi à spontanément enregistrer dans la foulée ? Etait-on arrivé au point critique où Autechre avait enfin trouvé une recette qu’il allait dorénavant dupliquer à envie ?

« Move Of Ten » ne tarde pas à balayer toute inquiétude et à renvoyer à l’église le pécheur qui s’était mis à douter. La vérité est que si ce nouvel album n’était sorti qu’en 2012, il serait apparu comme une évolution logique, pleine de bonds en avant et de retours en arrière, comme un album classique d’un groupe qui n’arrête jamais de se poser des questions. La seule chose à laquelle, on peut maintenant croire, c’est l’existence d’un accélérateur temporel.

L’auditeur se laisse surprendre par l’attaque frontale de « Etchogon-S ». Alors que Autechre ne cessait d’affirmer son goût pour cette violence sinueuse qui préfère toujours prendre des chemins de traverse afin d’au final mieux planter le couteau dans le dos du chasseur circonspect, le premier titre de « Move Of Ten » taille dans le gras sans ménagement à coup de blasts directs rappellent l’époque où il y avait une vraie filiation entre leur musique et celle d’Aphex Twin.

On réalise peu à peu que l’album est un terrain de jeu vierge où Rob Brown et Sean Booth peuvent enfin se permettre de s’amuser en dehors du cadre conceptuel de leurs œuvres habituelles. Tout en conservant leur haut niveau d’exigence en matière de textures sonores et de superposition des champs, le duo s’autorise exceptionnellement à flirter avec le monde qui l’entoure. « pce freeze 2.8i », par exemple, se fonde sur une boucle fixe et longiligne sur laquelle des sonorités en provenance d’usine viennent se greffer pour un résultat assez proche de l’indus, comme s’il s’agissait d’un remix acid d’un titre de Nine Inch Nails. Oui alors que « Oversteps » était album auto-généré qui vivait dans la quintessence de l’univers propre, « Move Of Ten » est un album de la rencontre, une œuvre tourné vers autrui. Il ne s’agit pas d’une « ouverture » (seul Autechre influence Autechre) mais bien d’une collision avec le monde extérieur.

Ainsi « Move Of Ten » n’est pas un album qui passe son temps à se battre contre son concept, on n’y entend ni les cris ni les larmes, et on en ressort presque apaisé tant, débarrassé du poids de l’œuvre, les anglais acceptent une forme de compromission, acceptent de faire plaisir, de créer l’émoi dans l’amour et non dans la haine. « rew(1) » possède ainsi une évolution apaisante et de vraies mélodies auxquelles on peut se raccrocher. A vrai dire, après une expérience aussi intense que « Oversteps » on craignait d’être trop faibles pour encaisser une nouvelle salve potentiellement encore plus éprouvantes que la première. Du coup malgré leur habituelle complexité, des titres comme « nth Dafuseder.b » sonnent comme des offrandes et ont le goût du repos (bien mérité) du guerrier. Les silences malsains, les interruptions frontales disparaissent au profit d’une danse intellectuelle sans fin !

A de rares occasions, l’effet « face B d’Oversteps » tant redouté peut poindre à l’horizon (« no border ») mais à chaque fois un léger gimmick ou une bouffée de noirceur brûle avec incandescence le voile du doute de manière où, dans le pire des cas, l’on doive se contenter de la plus dense des musiques IDM (« M62 ») ou des plus abrasifs chaos sonores (« Cep puiqMX).

En laissant se diluer dans l’éprouvette le serum de son humanité, Autechre diminue l’opacité de la substance au point de trouver une certaine forme d’équilibre entre ce qu’il est et ce qu’on voudrait qu’il soit. Toujours de la musique au carré mais cette fois-ci avec en bonus le bon algorithme de décryptage.

>> « Move Of Ten » est en écoute complète sur Bleep
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