La colorimétrie des fleurs a beau être infinie, l’automne finit toujours par revenir et par faire flâner les pétales. C’est un cycle permanent et autosuffisant, un cycle dont est exclu l’homme. On peut cumuler les souvenirs (les photos) et les distractions (les dés), le temps (symbolisé par l’horloge) n’épargne personne, quoi qu’il advienne il ne reste que la mort et un crâne pour la matérialiser. La pochette de « Butterfly House » de The Coral s’inscrit dans le courant des vanités période nature morte et fait échos à l’exposition « C’est la vie » du musée Maillol. Il s’agit ici de replacer la musique de The Coral sur un échiquier plus métaphysique. La musique a toujours joué un rôle phare dans les vanités (chez Simon Renard de Saint André en particulier) où elle incarne l’une des principale distraction terrestre de l’homme. Illustrer son album par une imagerie qui s’y réfère laisse à penser que la bande à James Skelly cherche à souligner combien leur musique est à relativiser.
De la même manière que « Roots & Echoes », « Butterfly House » ne modifie ainsi pas d’un iota la formule désormais bien connue du groupe de Liverpool. Il faudrait donc prendre les chansons de The Coral comme une succession de plaisirs instantanés qui n’auront pas de répercussion en dehors du cycle de vie de leurs auteurs. On veut bien mais vue, une fois de plus, la qualité de certains titres, il sera difficile de ne pas considérer certains comme de la matière pour la postérité. Chaque titre est ici l’égal du précédent, aucun ne doit être mis en avant, aucun ne doit être laissé de côté (et ce malgré l’incroyable durée de l’album). Sur « Butterfly House », il n’y a pas de titre twee à la « So Long Ago » sur « The Invisible Invasion », pas de single à la « Dreaming Of You » mais une succession de chansons à doubles facettes qui jouent le jeu de la pop psychédélique avec un surplus de Love.
On ne sait ainsi jamais sur quel pied danser avec The Coral : Sur les éclatantes chansons comme « More Than A lover » qui ouvre ce sixième album, on sent à la fois l’odeur du souffre et les effluves printanières, c’est à la fois particulièrement joyeux et sombre. Les hallucinations ont cette propriété de déboucher sur des sensations différentes selon le contexte et le lieu.
Il y a tellement de titres ici (surtout si l’on inclue le second disque de l’édition limitée) qu’on ne sait plus si les chansons sont de simples hommages (« Butterfly House » et son solo de fin poussif) ou de vraies déclarations (« Dreams In August »). Oui « Butterfly House » est un album dense fondé sur une ambivalence qui déstabilise : on ne sait jamais si tout est superficiel ou capital. On s’y ennuie parfois férocement, on sent que ça ronronne avec trop d’aplomb mais jamais la volonté de s’en extraire ne traverse l’esprit. La problématique des vanités revient au cœur de chaque morceau. C’est comme si le groupe culpabilisait face à l’étendue de son talent et avait du mal à se sentir légitime, et du coup à vraiment utiliser son talent pour écrire des grandes chansons. Il faut dire que tout semble effectivement trop évident et sans prise de risque, comme si des pop-songs comme « Two Faces », le groupe en écrivait tous les jours en moins de temps qu’il ne me faut pour écrire une critique (à sa décharge il faut dire que j’écris plutôt lentement^^).
Pourtant on sent bien une folie dissimulée chez les anglais. Un truc qui pourrait à chaque instant leur faire détruire les carcans. C’est quelque chose de latent qu’on ressent bien dans la magie folk de « Coney Island » qui ne demande qu’à partir, qu’à exploser, qu’à devenir un festival de foire, qu’à englober le monde sous ses ailes. Toute l’Amérique respire ainsi dans « She’s Comin Around » : des new yorkais arty se laissent emportés par une guitare bluegrass, un vieux monsieur dont les rides forment sur son visage une cartographie des courants musicaux dodeline sur cette pop psychédélique. Oui plus « Butterfly House » avance, plus la six cordes se tend et se détend de la manière la plus hypnotique qui soit. « 1000 Years » s’enfonce comme ça le long des plaines infinies. La fin psychédélique de « North Parade » est diaboliquement sixties. Et puis il y a cette basse, cette basse qui sur « Into The Sun » confère un groove palpable à ce qui aurait pu n’être qu’une sympathique ballade. De même sur « Coming Through The Rye », elle soutient à la fois fébrilement et efficacement le morceaux ; à chaque fois qu’on croit qu’elle va lâcher prise, elle repart de plus belle. La basse est un peu le gardien des trop nombreuses questions que se pose The Coral.
Ca tourbillonne, ça aspire, on est attiré vers le centre. Les yeux suivent un mouvement circulaire, la tête tourne, c’est l’apogée du trip sur « Circles », et protégé par le cocon des notes les plus graves, une inquiétude s’empare de l’être : saurons-nous redescendre ?
Note : 7/10
>> « Butterfly House » est en écoute sur Spotify
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