Écrire un préambule à propos de Alva Noto, connu également sous le nom de Carsten Nicolai, se révèle vain tant le musicien brouille les pistes depuis les débuts de sa carrière. Disons simplement qu’en matière de musiques électroniques et expérimentales, plus particulièrement le glitch, il est l’un des artistes les plus passionnants de sa génération. Que ce soit lors de sa récente collaboration avec Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten) au sein du projet ANBB ou ses travaux avec Ryoji Ikeda, Mika Vainio ou Michael Nyman, il est au service du son, maniant les silences comme partie intégrante de sa démarche expérimentale. Ryuichi Sakamoto est lui un pianiste reconnu à l’échelle internationale, et sévi depuis ses débuts dans pléthore de projets. Les deux compères n’ont pas de chapelles et c’est tant mieux. Leur collaboration a débuté en 2002. Summvs s’annonce comme le cinquième et dernier opus de la série. A la suite des heures de gloire de Mille Plateaux (label allemand sorti récemment d’un dramatique sommeil), le label Raster-Noton réunie de près ou de loin, tout ce que les musiques électroniques expérimentales comptent de virtuoses. Sa musique, avant-gardiste, blanche et intransigeante, est parfois qualifiée d’hermétique par certains innocents.
Si certains rapprochent le dernier album de Amon Tobin et la prestation de Richie Hawtin devant le Leviathan de l’art contemporain, je manierais l’euphémisme avec autant d’aisance que Alva Noto & Ryuichi Sakamoto lorsqu’ils usent de métaphores sonores. Sur cet album (et sur les précédents), leur complémentarité n’effleure pas l’art (contemporain ou non), elle l’incarne. Car oui, rien n’est si beau que quand il est suggéré. D’où l’intérêt de savoir utiliser les silences, pour que la musique et la trame respire. La musique du duo est “blanche”, oui. Mais elle s’anime et prend forme lorsque Sakamoto presse ses touches et joue des pédales, quand Alva Noto produit des pulsations métronomiques. Un blast, une aspiration, et la musique se voit dotée de souffle, de respiration, aussi numérique soit-elle. Commenter la musique du duo me paraît tellement vain et superficiel au moment même où j’écris ces lignes. Elle ne se commente pas, elle se vie. Prenons le terrible Halo, ou les deux musiciens se lancent dans un dialogue ambivalent pas si abstrait que ça, entre l’aspect mystérieux des tonalités mineures de Sakamoto et les ambiances et textures si particulières d’Alva Noto, qui elles semblent exprimer une désarmante révélation. Juste saisissant. Et que dire de ces graves ondulées et parasitées sur Pionier IOO, où l’oreille interne est mise à rude épreuve, et l’auditeur jeté à bas de son cheval, absorbé par le souffle de la révélation divine. Point de Jonas dans ces notes. Que ceux qui veulent naviguer sans Jason vers la luxuriance digitale de Naono suive le convoi. La relecture de By This River, d’un certain Brian Eno, contient elle aussi ses trésors et ses mystères, tout comme la courte trilogie Microon.
Comment, avec autant de minimalisme, le duo parvient-il à transmettre autant d’émotions et de sentiments. Des DVD du duo existent. Mais ne vaut mieux-t-il pas se créer son propre visuel en se plongeant profondément dans cette musique ? Faussement qualifiée d’hermétique et d’élitiste par ceux là même qui cite l’art contemporain dès qu’ils ne sauraient comprendre une démarche, cette musique, cet album, se fera le compagnon idéal de matins mornes de solitude, d’après midi automnale sous la couette seulement accompagné d’un casque HD. Juste beau, à en crever.