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WEEZER – Hurley

Par Benjamin Fogel, le 10-09-2010
Musique

Weezer est cet ami d’enfance dont la ligne de vie n’aurait jamais du croiser la vôtre mais qui le temps des années collèges s’avéra par la force des lois terrestres un indispensable compagnon de route ; toutes les droites qui ne sont pas parfaitement parallèles débouchent toujours sur une intersection. Cette période a d’étrange que les affinités qui étaient alors implicites n’arrivent même plus à se remanifester sous la forme d’un souvenir vaporeux. Au lycée, Weezer était devenu cet ancien pote un peu lourdingue avec qui vous ne vouliez plus qu’on vous aperçoive. Vos nouveaux amis se moquaient sans cesse de lui, et si au départ ces quolibets vous semblaient infondés et injustes, vous n’aviez pas tardé à réaliser qu’ils étaient la seule réaction possible face à ses blagues infantiles, face à cette immaturité potache qui voyait dans les jeux de mots grossiers des raisons de se rouler par terre. Du coup, si vous alliez toujours chez lui le week-end pour jouer à la dernière sortie sur Super Nes, vous changiez de banc lorsqu’il venait s’asseoir à côté de vous dans la cour. L’adolescence est pleine de cette cruauté malhonnête qui ne s’arrange malheureusement pas avec les années. Lors de vos études supérieures, un déménagement vers la capitale vous avez assuré de couper facilement les ponts avec lui. Il avait arrêté les études après le bac, continuait de collectionner les images de joueurs de baseball et passait des heures devant son ordinateur à faire des collages hasardeux sous Photoshop. Les seules occasions de parler de lui se résumaient à ces soirs où avec des camarades fréquentables vous repensiez à ce bon vieux temps en forme de « Ah tu te souviens de ce bon Weezer, il était con quand même ». Puis peu après votre entrée dans la vie active, vous avez reçu ce message sur Facebook où il vous annonçait qu’il venait justement de reprendre ses études et qu’il aimerait bien à l’occasion aller vider un godet avec vous. Vous n’aviez alors pas donné suite…

Depuis cinq albums (quatre si l’on exclue le green de 2001), Weezer a repoussé les limites de la trivialité, préférant alterner les plaisanteries de mauvais goût (« Beverly Hills », « Pork and Beans », « Dope Nose »…) et les buzz à courte durée typiques de la génération 2.0 (sic) plutôt que les chansons touchantes et les remises en question sérieuses. A force de se prendre pour des marionnettes n’ayant d’autres ambitions que celle d’amuser la galerie, le groupe de Los Angeles était devenu des entertainers dont on attendait les nouvelles productions avec les mêmes perspectives de rire que celle d’un American Pie X.

Du coup « Hurley » se positionne d’emblée comme un album à part. Effectivement, si le groupe possède toujours un gout douteux pour les pochettes (et vas-y que je te redécoupe la photo de Jorge Garcia et moi et que ça fera l’affaire quitte à évoquer Hurley International), les déclarations de Rivers Cuomo et la signature sur Epitaph – un gage de pas grand-chose si ce n’est de passion et d’honnêteté, ce qui au fond n’est déjà pas mal – assurait que c’en était fini des conneries, et qu’à défaut de réussir, le groupe essaierait à minima de sortir un bon album (ce qui était manifestement le cadet de ses soucis depuis dix ans). Le tout étant accompagné des velléités du sempiternel retour aux sources agrémenté pour l’occasion d’une tournée dédiée aux sacro-saints « Blue Album » et « Pinkerton », on savait qu’il s’agirait d’un album à enjeu, d’un album où Weezer tenterait une dernière pirouette pour tenter de réatterrir sur ses pieds.

L’enchainement du nerveux « Memories » et du fédérateur « Ruling Me » ne dément nullement les espérances. Bien au contraire « Hurley » démarre avec ce qui rapproche le plus le groupe de sa légende sur ces dix dernières années. Mélodies légères, refrains bien amenés, un surplus de crédibilité dans la voix pour du college rock nineties qui arrive miraculeusement à rester léger tout en multipliant les effets (« Trainwrecks »). Peut-on alors parler d’un reboot réussi à l’énergie punk retrouvée ? Malheureusement non. D’une part, bien que plus sincères que les manœuvres korniennes, les ficelles restent un peu grosses et rétro-éclairées par le fait que le groupe avait cramé toutes ses cartouches et qu’il s’agissait pour lui de la seule issue possible, d’autre part, ce huitième album n’a de punk que son label et ses réminiscences du passé et continue de verser dans les claviers bancals, les chœurs exaspérant (« Run Away » coécrite avec Ryan Adams) et les innovations poussives. Mais l’important n’est pas là – il ne s’agissait pas non plus de savoir s’ils allaient sortir l’album de l’année -, l’important est que Weezer soit redevenu un vrai groupe capable de livrer un album homogène et cohérent qui n’est pas lesté par le poids d’infamies comme « Can’t Stop Partying » sur « Raditude » ou « The Greatest Man That Ever Lived » sur le Red Album.

En écoutant « Unspoken » et « Time Flies », deux compositions qui rappellent combien les exercices solo de Rivers Cuomo peuvent être touchants ou en se laissant une fois de plus happer par ces gimmicks vocaux weezeriens éculés mais toujours si efficaces (« Smart Girls » dont même le solo de guitare est crédible), on se laisserait convaincre que la traversée du désert n’a pas entamé le songwriting si particulier du groupe. Il suffirait que le quatuor réussisse à se débarrasser définitivement de son humour vaseux pour définitivement transformer ce sursaut. Car, s’il ne possède pas de titres indigents, « Hurley » fléchit toujours sous le poids des trouvailles comiques de son leader : « Where’s My Sex? » est ainsi un de ces titres stupides qui a toujours nuit au groupe. Jouant sur la confusion homophonique entre sex et socks (oui je sais, on est dans le haut du panier de l’écriture…), il reste à mille lieux de « Tired Of Sex » et se risque même dans le plus improbable des ponts où le morceau glisse sans prévenir et l’espace de quelques secondes sur une tout autre radio. Il faudra un jour lister toutes les fausses bonnes idées de Weezer comme cette idée saugrenue de créditer Michael Cera sur « Hang on, hang on, hang on ». Over and over, We swore it was over, But just like wild clover, Love grows at light speed… Oui mais l’âge de contrôler ses émotions n’est-il pas venu ?

« Hurley » n’ajoute rien de bon (sur tous les albums se nichaient des titres de l’acabit de ceux-ci) mais se défausse des impardonnables écarts. Ca peut paraitre anecdotique mais cela transforme le supplice en un chaleureux moment de nostalgie.

Un jour, de retour pour le week-end dans la ville qui vous a vu naitre, vous tombez nez à nez avec l’ami abandonné. Il n’a pas tellement vieilli mais les quelques crevasses qui délimitent maintenant les parties de son visage ont suffi à gommer cet air benêt qui ne le quittait jamais. Vous acceptez alors d’aller boire un café, d’abord par obligation puis très vite parce qu’au fond vous en avez envie. Les vies de chacun défilent et il a courtoisie et le tact de ne pas rem
ettre sur la table votre séparation. Il ne s’excuse pas et ne demande pas d’explications aux messages restés sans réponse. Bien qu’il ne puisse toujours pas retenir quelques calembours hasardeux, il fait preuve d’une humilité nouvelle. C’est alors qu’insidieusement s’abat sur vous le poids de la culpabilité. Vous vous souvenez ce que vous lui avez fait subir sans qu’aucune justification ne viennent vous sauver. Tout cela était vain et méchant et rétrospectivement inapproprié. N’était-il pas risible de rire sérieusement de ceux qui aimaient rire naïvement ?

Si de telles retrouvailles inopinées ne débouchent que rarement sur une amitié renouvelée, elles ont le mérite de nous rappeler que les gens sont toujours à même d’évoluer et de nous surprendre. Parce que la vie est aussi faîte de ces cafés perdus entre passé et présent.

Note : 5,5/10

>> « Hurley » est en écoute intégrale sur My Space